Le livre dans l’affiche

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Extrait du catalogue de l’exposition Le livre dans l’affiche | Carte blanche à The Shelf Company
présentée du 10 mars au 14 avril 2018 à l’École et Espace d’art contemporain Camille Lambert à Juvisy-sur-Orge.

« [] Dans ce cadre, restreint par le format de la feuille d’impression, dessiner, peindre, montrer, évoquer ou symboliser le livre, impose qu’on le sorte de l’espace du réel pour l’installer dans la planéité du figuré. Cette dématérialisation fait appel aux compétences de ceux qui l’opèrent. À la surface de l’affiche, comment donner vie — c’est-à-dire donner un sens graphique —à cet objet banal, tout en conservant ce qu’il a d’identifiable ? La variété des réponses possibles à cette question, objet de l’exposition, peut être divisée en deux catégories. La référence aux attributs physiques du livre: ses pages, sa forme fermée ou ouverte, sa reliure ou ses tranches, en constitue la première. La deuxième concerne le phénomène d’analogie, par lequel le livre s’hybride avec un objet qui est supposé lui ressembler, ou nous en rappeler certaines caractéristiques, parfois jusqu’à le remplacer complètement. L’objet livre omnipotent depuis l’époque moderne, et l’utilisation quasi systématique de l’affiche pour la communication des événements, des institutions, des entreprises… ont permis de réunir des pièces issues de pays variés, de 1930 à nos jours [] »

– The Shelf Company –

 

Si loin si proche, Stéphane Darricau, janvier 2018 (extrait)

« […] À la source de toute pratique graphique, il y a l’écriture (particulièrement sous sa forme mécanisée, la typographie), c’est-à-dire le signe — puissant, réductif, malléable et surtout parfaitement bidimensionnel. La tentation est donc grande, pour faire entrer dans le plan de l’affiche le volume têtu de l’objet livre, de transformer celui-ci en un signe. Enfin dépouillé de son encombrante matérialité, il acquiert l’apparence et le comportement de la lettre ou de l’idéogramme: il y a là une sorte de “déplacement tactique” permettant au designer de reprendre pied sur un terrain connu. La série de pictogrammes fortement stylisés que Na Kim installe dans son affiche pour la Séoul International Book Fair (2007) présente ainsi la limpidité visuelle d’une phrase typographiée, dont la parenté avec les caractères coréens qui l’accompagnement semble volontairement soulignée par la graphiste (même épaisseur de trait, même couleur). Peut-être, d’ailleurs, l’origine pictographique de nombre d’écritures extrême-orientales rend-elle ce type de glissement plus naturel en Corée, en Chine ou au Japon: dans la juxtaposition soigneusement ambiguë de Sebastian Fehr pour la DDD Gallery de Kyoto (2015), quels dessins relèvent encore de la figuration, quels signes ont déjà acquis la nature abstraite de l’idéogramme ?


Le graphiste occidental, prisonnier de son rigide Aleph, Beth, Gimel, etc., éprouve davantage de difficultés à établir un rapprochement fluide entre l’image et le mot. Il est donc obligé de biaiser, au propre comme au figuré, en choisissant un point de vue sur l’objet qui lui permette d’opérer plus commodément cette nécessaire transformation. Considérons, par exemple, ces affiches dans lesquelles le livre est représenté vu de dessus (ce qui n’en offre certes pas le profil le plus reconnaissable, et c’est sans doute fait exprès): ramené à la planéité de l’éventail (Experimental Jetset, 2012) ou réduit à un V majuscule mince et sévère (My Name Is Wendy, 2015), il devient enfin ce signe abstrait que le designer familier de l’alphabet latin sait si bien manier — et dont la construction rigoureuse est mise en évidence par le constraste avec les liasses de papier souples et mouvantes qui prêtent leur qualité organique aux compositions de la série Espace de lecture [] »

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