Les masques de la mémoire – Anne-Christine Taylor

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Les masques de la mémoire
Essai sur la fonction des peintures corporelles jivaro
Par Anne-Christine Taylor
Bien qu’ils aient aujourd’hui abandonné la plupart des éléments de leur costume traditionnel, les Indiens de culture jivaro continuent de s’orner le visage de motifs géométriques tracés avec un pigment rouge. L’article cherche à éclairer les raisons de la persistance de cette pratique, en s’attachant à analyser le rapport entre la peinture corporelle et la manière jivaro de construire une certaine forme d’identité.

« Parmi tous les éléments qui composent le costume et plus généralement le mode d’apparence traditionnel jivaro, il en est un qui résiste obstinément à l’usure de l’histoire : la peinture corporelle. Aujourd’hui encore, dans la majorité des communautés relevant de ce vaste ensemble ethnique, presque tous les hommes adultes et beaucoup de femmes continuent à s’orner le visage de dessins tracés au moyen d’un colorant rouge appelé karaír ou karawír en shuar et achuar. Ce pigment, d’un vermillon soutenu, est fait d’un mélange de graines de roucou (Bixa orellana) et de sève d’une plante cultivée, tái (Warscewzcia chordata), parfois enrichi d’huile végétale pour lui donner du brillant. Les dessins n’ont de prime abord rien d’extraordinaire. Ils sont parfois sommaires et assez grossièrement exécutés, au doigt plutôt qu’avec un bâtonnet fin ou un pinceau ; parfois ils sont tracés uniquement avec des graines de roucou écrasées et humectées de salive, teinture dont la couleur se dénature rapidement. Aucun jugement négatif n’est porté sur ces barbouillages, ni sur l’individu qui les porte ; à l’inverse, même s’il arrive à des hommes de passer de longues minutes à se dessiner soigneusement des motifs compliqués, nul ne songerait à commenter la qualité esthétique de leur ornementation. A priori, il ne s’agit donc pas d’une tradition ‹ artistique › investie d’un savoir-faire culturellement valorisé ; rien à voir avec les somptueux dessins des Caduveo (Lévi-Strauss 1955), les ‹ belles peintures › (‘ôk mex) des Kayapo (Vidal 1981, Vidal ed. 1992 ; Verswijver 1992 ; Turner 1992), ou les savantes ornementations des Embera (Ulloa 1992). C’est pour cette raison, sans doute, que les ethnographes des Jivaro n’ont, à de rares exceptions près, guère porté d’attention à cette pratique, de ce fait mal documentée et analysée. Le désintérêt des spécialistes s’explique aussi par la difficulté d’associer les peintures à des contextes rituels ou sociologiques aisément repérables, et par la variabilité considérable des motifs ou des styles qu’elles recouvrent, rapportée, faute d’exégèse indigène convaincante, à la simple fantaisie individuelle. (…) »

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