Jacques Nathan-Garamond

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Affiche du portrait : © Jacques Nathan-Garamond, Rentrée des Classes, Achetez dès Maintenant, 1930

Grand admirateur du Bauhaus et de l’architecture moderne, artiste au graphisme exigeant et rigoureux imprégné de l’héritage de Cassandre, le graphiste français Jacques Nathan-Garamond (1910-2001) doit entre autres sa réputation à ses affiches réalisées pour des compagnies telle que Air France, la SNCF, la Thompson ou encore Telefunken. Grâce à son goût pour l’abstraction, consolidé par un sens de la couleur exceptionnel, Nathan a, tout au long de sa carrière, créé des affiches de très grande qualité ainsi que de nombreuses identités d’entreprises, packagings, ouvrages et illustrations. Il fait partie des membres fondateur de l’Alliance graphique internationale (AGI) et a enseigné de nombreuses années à l’école Penninghen de Paris.

C’est Jean Carlu qui le contactera ainsi que neuf autres affichistes (Jean Colin, Paul Colin, Jacques Dubois, Guy Georget, Eric Lancaster, Hervé Morvan, Jean Picart-le-Doux, Raymond Savignac et Bernard Villemot) pour réaliser en 1956 sa première affiche pour la compagnie Air France (Le plus grand réseau du monde). La même année, dans un catalogue d’exposition, l’académicien André Maurois et Jean Cocteau donnent leurs sentiment sur la publicité, et plus particulièrement sur les affiches de tourisme, voici notamment les mots de Cocteau sur le sujet : « L’affiche de voyage devenait une porte ouverte ou comme indiscrètement entrouverte sur des invitations au voyage dont le poème de Baudelaire reste l’exemple. Il ne s’agissait plus d’attirer la foule vers un chanteur ou vers un guitariste, vers un dentifrice ou vers une voiture, il s’agissait de tirer le flâneur par la manche et de l’entraîner vers son propre rêve, d’exciter le besoin que tout homme porte en soi de sortir de soi, de le mettre en état d’hypnose et de lui murmurer à l’oreille: saute l’obstacle de la paresse, ose, roule ou vole. Des spectacles t’attendent dont cette affiche peinte n’est que le rideau ».

Jacques Nathan-Garamond réalisera quinze affiches pour Air France en moins de dix années, de 1956 à 1965. On retrouve dans cette série de nombreuses influences : le surréalisme de Giorgio de Chirico, celles de Jean Lurçat et de Picart-le-Doux, mais toutes ces images magnifiquement colorées remplissent parfaitement leur fonction en invitant le spectateur au voyage. Notons également la très réussie série Visitez réalisée pour la SNCF de 1952 à 1968 pour laquelle Nathan a dessiné trois affiches, la Bretagne, les Alpes et la Côte d’Azur.

« Cassandre m’a tout appris, sans avoir été pourtant mon professeur ! […] J’ai beaucoup appris, non pas par les contacts personnels, car je n’en ai pas eu beaucoup, mais en regardant ce qu’il faisait. J’essayais de faire aussi bien ; Je lui ai un peu fait les poches au début, mais après, j’ai volé de mes propres ailes. Il m’a appris le métier sur le plan technique – comment on passe un ton en dégradé, comment on équilibre l’image avec le texte, etc. […] Pour l’affiche, il recommandait les grandes surfaces; il disait que ce qui tient à la lumière du jour, ce sont les grands aplats, ce ne sont pas les petites choses romantiques. Une affiche, il faut qu’elle se voit dehors, il faut qu’elle soit puissante, brutale. Il faut schématiser les personnages humains. […]

[…] Je reconnais mes influences. Mais je n’ai pas fait que l’imiter. J’ai fait autre chose. J’ai pris pour moi tout ce qui me semblait valable pour être transposé sur des grands surfaces. Parce qu’une affiche, – ça c’est mon credo – une bonne affiche, c’est une affiche qui peut à la rigueur se passer de texte. J’assimile la très bonne affiche aux panneaux de signalisation routière. Ce qui importe pour l’affichiste, c’est de déclencher la mémorisation chez des gens qu’il ne connaît pas. Nous travaillons pour un public qui nous est complètement inconnu. Nous devons donc forcer cette porte par un procédé quelconque, que ce soit par la poésie, le sentiment, le décoratif, l’érotisme, donner un coup de poing – “faire irruption comme un cambrioleur”. Finalement la fonction d’une affiche, ce n’est pas d’être une belle image, mais de faire vendre. Comme il y a toujours incertitude quant au résultat, il faut mettre toutes les chances de son côté. Il faut qu’une affiche soit un signe qui soit comparable à un graphisme que vous reconnaissez même si vous le voyez de loin […] »

– cit. Entretiens avec Jacques Nathan-Garamond (source inconnue) | Rétrospective Jacques-Nathan Garamond

 

Après avoir étudié à l’école nationale supérieure des arts décoratifs, le jeune Jacques Nathan trouve une place comme dessinateur de bijoux chez le joaillier moderne Paul Brandt, il apprendra a ses côté beaucoup de choses notamment la précision. Ensuite, son service militaire terminé, il entre au service d’André Bloc pour la revue L’Architecture d’Aujourdhui, c’est là qu’il commencera véritablement à faire du graphisme d’abord comme responsable des annonces, puis des affiches et aussi de la mise en page du journal sous la direction exigeante d’André Bloc. Cette place privilégiée lui permettra de faire la rencontre de nombreux architectes comme Michel Hermant, Pierre Vago, Le Corbusier, Charlotte Perriand, Mallet-Stevens, Henri Sauvage, Tony Garnier, Hector Guimard, et bien d’autres.

« André Bloc apprécie son travail rigoureux et obscur. Il lui confie tout d’abord la réalisation d’une petite affiche pour Trois expressions d’architecture, qui vont avoir lieu à la Galerie Vignon. Le jeune dessinateur mentionne modestement son nom au bas de sa première création (très typographique), “Nathan Studio AA”. Comme L’Architecture d’Aujourd’hui organise chaque année un Salon de l’Habitation, dans le cadre du Salon des Arts ménagers, la réalisation des affiches pour cette manifestation annexe est confiée à son jeune maquettiste. Nathan en exécutera trois de 1934 à 1936. Mais sa véritable première affiche, il la dessine en 1934 pour le Salon des Arts ménagers, représentant dans une composition résolument géométrique qui fait penser au buveur de Dubonnet de Cassandre, un valet époussetant le toit d’une maison […] En 1949 il crée une nouvelle affiche egalement très remarquée pour l’exposition des Droits de l’homme, organisée par l’UNESCO au musée Galliera »

– cit. source inconnue | Rétrospective Jacques-Nathan Garamond

 

« Très tôt, Nathan fut conscient que pour faire connaître et valoriser son travail, il était nécessaire de s’associer avec ses confrères pour créer un événement. La première expérience du genre fut l’exposition qu’il organisa avec ses amis affichistes et photographes “publicitaires” à la Galerie Billiet-Worms en octobre-novembre 1935. Arts et Métiers Graphiques apporta son concours à cette manifestation de jeunes talents, regroupant les affichistes Guy Georget, Savignac, Picart-le-Doux, Satomi, Junot et Nathan, ainsi que les photographes Zuber, Dora Maar, René-Jacques, Maywald et Pierre Boucher. Cassandre avait accepté de rédiger le texte de présentation, qui commençait en ces termes : “Les jeunes peintres, qui nous convient aujourd’hui, ont délaissé le motif pour le slogan… Ils ont préféré, à l’air étouffant des musées et des salons, le grand air de la rue et des routes…” “Il nous plaît, commenta Arts et Métiers Graphiques en rendant compte de la manifestation, de voir un aîné collaborer ainsi à la révélation au public de ses cadets, lesquels d’ailleurs lui prouvent leur admiration rien que, déjà, par leurs œuvres. En effet, avec des personnalités très différentes et des factures fort variées, on sent que ce petit groupe a, avant tout, compris la leçon de Cassandre, sa façon de décomposer l’essentiel d’un paysage ou d’un sujet, d’en décanter logiquement chaque élément frappant, pour en faire une attraction symbolique en soi, et de retrouver l’apparence concrète par une savante recomposition aux contours nettement découpés, à l’intérieur desquels l’artiste modèle quelques touches sensibles […] ».

– cit. source inconnue | Rétrospective Jacques-Nathan Garamond

 
De nombreuses expositions suivront comme en 1947, le Salon de l’Imagerie et le Salon des Artistes Décorateurs; en 1948, l’Exposition de l’Affiche française , organisée sous l’impulsion de Paul Colin, à la Galerie des Beaux-Arts et qui devint itinérante ; fin 1949, il y eut encore l’exposition d’Art publicitaire français à la Maison de la Pensée française, rue de l’Elysée, ainsi que l’exposition Formes utiles organisée par l’Union des Artistes modernes (UAM dont il prendra part) au Musée des Arts décoratifs. Ce sont toutes ses manifestations qui vont petit à petit mettre en place les prémices de ce qui deviendra la future Alliance graphique international.

Jacques Garamond, Jean Colin, Jean Picart Le Doux de France et les Suisses Fritz Bühler et Donald Brun fonde l’AGI (Alliance graphique internationale) officieusement en décembre 1951 à l’occasion d’une exposition de leur travaux au Kunstgewerbemuseum de Bâle. Les liens sont maintenus et étendus, et l’AGI est fondée officiellement l’année suivante. Ils invitent alors à les rejoindre, plus de 50 designers de toute l’Europe ainsi que dès la fin des années 50 des graphistes américains dont notamment ni plus ni moins que Herbert Bayer, Lester Beal, Saul Bass ou Paul Rand pour ne citer qu’eux. La femme de Jacques Nathan-Garamond, Cathy y participera également de façon très active.

Sa carrière a fait l’objet d’une rétrospective en 1999 à la bibliothèque Forney de Paris, qui donnera lieu à l’ouvrage Jacques Nathan-Garamond – Affichiste Et Graphiste, le seul à ma connaissance lui étant consacré.


Plus de ressources sur Jacques Nathan-Garamond :

→ De nombreuses affiches sur artnet.fr
Un texte très complet qui a servit de base à cet article et dont la source m’est inconnue
→ http://a-g-i.org/design/monnaie-de-paris/
Un article tiré de la revue Graphis de 1945
Un second article cette fois ci extrait du magazine Gebrauchsgraphik de 1966
Une galerie de logotypes réalisés par Jacques Nathan-Garamond