Bernard Villemot

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« Le plus peintre des grands affichistes français. Moins graphique qu’un Jean Carlu, plus abstrait dans ses compositions que Savignac ou Paul Colin, Bernard Villemot se définissait d’abord par son amour de la couleur. Influencé par les grands peintres de son temps (Matisse en particulier), il a très tôt simplifié sa ligne graphique et utilisé de grands aplats de couleur vive délimités par un trait vigoureux. On qualifie souvent son style de ‹ lyrisme décoratif ›. »

→ Paul Schmitt, cit. pixelcreation.fr

« Né en 1911, Bernard Villemot débute au milieu des années 1930 où il travaille surtout pour des affiches de cinéma ; il continue sous le régime de Vichy où il est notamment l’auteur du triptyque Travail, Famille, Patrie. Il devient un affichiste majeur après la Seconde Guerre mondiale. Il se considérait d’abord comme un peintre, estimant que l’enseignement le plus précieux qu’il avait reçu de son maître, Paul Colin, était ‹ celui de réaliser des affiches comme des peintures ›.

Les affiches de Bernard Villemot sont largement entrées dans la mémoire collective. Elles ont accompagné plusieurs décennies de vie française et témoignent notamment de la vitalité et de l’optimisme des ‹ Trente Glorieuses › à travers les emprunts pour la reconstruction, pour l’essor industriel du pays (Obligations du Trésor pour l’équipement du pays) et l’exploitation des ressources énergétiques : Emprunt charbon, Emprunt gaz de Lacq et, pardessus tout, les Emprunts EDF qui reviennent régulièrement durant toutes les années 1960. C’est l’époque où les ménages et le pays tout entier s’équipent d’électroménager, et où l’on fait la promotion du confort électrique (Eau chaude électrique, 1956) ou d’appareils tels que les réfrigérateurs (Frigidaire), les radios ou les téléviseurs (Pathé Marconi). Dès la première moitié des années 1950 et jusqu’aux années 1970, Villemot répond également à des commandes d’affiches de voyage et de tourisme, par les grandes entreprises nationales de transport comme la SNCF, Air France ou par le ministère du Tourisme.

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« Bernard Villemot travaille dans un esprit proche des peintres de l’école de Paris. Ce chercheur infatigable, à la palette riche en couleurs, au trait fort et au cerne puissant, sait trouver des images que les années n’émoussent pas… »

→ Alain Weill, cit. l’affiche française.

Durant ces années, Villemot signe par ailleurs des campagnes pour de grandes causes nationales : aide à l’enfance (Entraide française, 1946), luttes contre l’alcoolisme (Quand les parents boivent, 1957) et le cancer (Vaincre le cancer, 1962) ainsi que des journées d’hommage aux personnages âgées, organisées sous le patronage du général de Gaulle (de 1961 à 1968). Bien entendu, la publicité de produits n’est pas en reste. Ce sont, par exemple, des boissons comme Pam Pam, Cinzano ou encore Orangina et Perrier, pour lesquelles, au fil des ans, est créée une série d’affiches particulièrement célèbre. Pour les chaussures Bally, Villemot mène une suite de variations tout aussi remarquable à partir de 1967, c’est-à-dire à une époque où les dessinateurs affichistes tendent à disparaître devant la montée en puissance des agences de publicité. Agences contre lesquelles Villemot n’aura de cesse de s’élever : ‹ Soyez certains que ce ne sont pas dix belles cervelles réunies autour d’une table qui aboutiront à la naissance d’une affiche personnelle et originale ! ›  »

→ Anne-Marie Sauvage, cit. bnf.fr

« La rue est une galerie »

« Disons-le tout net, même s’il n’y a pas grand mérite à l’affirmer, Bernard Villemot est un des plus grands affichistes français de notre temps. Il a su, dans des compositions très fermes, allier à la fois la sobriété indispensable à une immédiate lisibilité, la chaleur de grands aplats colorés, et ces lignes, ces découpes qui font l’élégance et l’humour de son styla Malgré les vicissitudes des modes et en particulier la place envahissante de la photographie dans ce que l’on appelait dans les années cinquante la ‹ réclame ›, il a maintenu l’exigence de son maître Paul Colin. Défendre la tradition de l’affiche peinte, tout en lui conférant une immédiate modernité, voilà quelle fut sa tâche constante. Et qui n’a pas été ‹ ravi › — au sens de rapt — par ces publicités Perrier, Orangina, Bally, fraîches encore de cette colle caressante pour nos murs ? Qui n’a pas été happé par ces images dont la force vient du fait que leur esthétisme ne se fait pas en dépit du message et que le message n’est pas ressenti comme une déchéance de la composition ? La publicité atteint là ce qui l’a fait haïr dans la décennie précédente et ce qui la rend aujourd’hui souvent si populaire : elle capte l’imaginaire. Alors cet art de l’éphémère, que certains ont même voulu parfois considérer comme un simple produit de la nécessité, devient le reflet et, parallèlement, la source d’inspiration d’une époque — ce qui en définitive est le propre de toute création importante. […]

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« L’affiche, c’est très simple, c’est tout simple. C’est pourquoi c’est si difficile. Comme tout art… On ne le raisonne pas. Elle doit parler un langage direct et humain. »

Vous êtes né en 191 1 près de Trouville. A partir de quel moment avez vous suivi les cours de Paul Colin ?
Je suis allé à l’école de Paul Colin en 1933, 1934 et 1935.

Ce sont vos débuts d’affichiste ?
J’avais fini, assez mal, des études je suis parvenu jusqu’à la philo que je n’ai pas passée d’ailleurs, parce que je préférais le dessin. J’en
faisais beaucoup. J’avais commencé au lycée Janson de Sailly où, élève, je vendais mes productions à des journaux humoristiques. C’est ainsi que j’ai débuté: comme dessinateur humoriste. Il faut rappeler que mon père a été également dessinateur humoriste.

Votre père s’appelait ?…
Jean Villemot. Il a dessiné pour l’Assiette au Beurre, le Rire… Remarquez — je ne sais pas si c’est héréditaire — j’ai dessiné très jeune. Pourtant, comme mes parents se sont séparés assez tôt, je n’ai pas tellement baigné dans l’atmosphère paternelle. De plus mon père n’avait pas de sentiments paternels vraiment développés. Alors on se voyait peu.

J’allais le jeudi chez Arthème Fayard. Les éditions Arthème Fayard publiaient Candide, Rie et Rac, Le Dimanche Illustré. Ce jour-là, on recevait les dessinateurs humoristes. Nous étions quinze, vingt à attendre. Nous passions à tour de rôle et le fils d’Arthème Fayard, Jean Fayard, sélectionnait les dessins. Alors quand je revenais et que j’avais un ou deux dessins qui passaient dans les journaux, c’était le succès auprès de mes camarades — mais pas auprès des professeurs…

Tout de suite après, j’ai fait mon service militaire et je suis allé à l’académie Jullian et aux galeries des Beaux-Arts. J’avais envie de perfectionner mon dessin. Et puis j’ai rencontré un garçon, avec qui j’avais fait ma première communion, qui s’appelait Derouët. Il m’a dit: «ah, mais tu devrais venir chez Paul Colin, c’est une bonne école, très sympathique…» et il m’a laissé l’adresse. Je suis allé m’inscrire et je ne l’y ai jamais vu : il n’y mettait pas
les pieds. L’école était agréable parce que Colin se montrait très vivant. Il connaissait alors son plein succès, on parlait de lui dans les journaux toutes les semaines…

Comment étaient considérés les affichistes à cette époque ?
Bien. Sans remonter à Toulouse-Lautrec — mais c’était quand même lui le précurseur — cet art s’est surtout développé en France. Dans les pays étrangers, en Grande-Bretagne et puis en Allemagne, il y a eu aussi des artistes qui ont créé des choses excellentes — Beardsley en Grande-Bretagne, par exemple. Mais la France tenait la tête à la suite de différents affichistes comme Mucha ou Chéret. Cappielio a marqué; ses compositions étaient très nouvelles, très modernes, de plus il était charmant — je l’ai rencontré chez Paul Colin.

Y avait-il de bons rapports entre les affichistes ?
Bons rapports, mais jaloux. Par exemple, Colin travaillait à la grosse brosse. Il faisait des frottis et des dégradés très enlevés. Cassandre. Il faut dire qu’il avait une formation d ‘architecte (il s’appelait de son vrai nom Mouron) et s’attachait à l’épure. C’était très bien, très intéressant, mais pas du tout dans mon tempérament. J’était beaucoup plus proche de Colin. En plus l’aérographe, je détestais ça, Colin aussi.

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Dans l’atelier, comment cela se passait-il ?
L’atelier (où nous étions nombreux) se situait dans un petit hôtel particulier gothique de l’époque 1900 rue Montchanin — qui ne
s’appelle plus la rue Montchanin — du côté de la place Malesherbes. Nous étions tous logés là-bas. Il y en avait à tous les étages.

Vous y habitiez ?
Non, c’était pour la journée. En principe Colin y habitait. Il y avait un endroit pour sa chambre et sa salle de bains. Mais il n’y était pas souvent.

La nuit, il sortait fréquemment, je crois…
Disons, qu’il s’absentait. Et quand il arrivait le matin, il avait un peu les yeux pochés.

Mais la main restait sûre…
Oui. Il nous donnait des leçons de dessin d’après modèle vivant. Nous faisions du dessin classique, du nu. Et puis il nous soumettait des sujets à étudier, décor de théâtre ou affiche. Evidemment chaque affiche nous prenait trois mois, si ce n’est quatre. Mais c’était intéressant, parce qu’il connaissait très bien le sujet et qu’il pouvait nous apporter des conseils sur la manière de le réaliser. Ce qu’il m’a le plus appris, n’est pas tant le métier, ou de «tenir
la main», mais de se dire : une affiche, c’est un dessin, une peinture, de la couleur. D’ailleurs, je suis peintre, affichiste, et dessinateur. Colin rendait les choses vivantes. Il y avait une popote au sous-sol, tenue par Madame Ida qui faisait la cuisine, et les élèves y déjeunaient. Colin invitait de temps en temps des célébrités. J’y ai déjeuné avec Suzy Solidor, Marie Marquet, entre autres. Et puis il nous emmenait travailler pour les décors de théâtre. Dans de vastes ateliers en bois assez sales, crasseux — comme dans les romans d’Eugène Sue — nous étalions sur les parquets de grande toiles et nous peignions par terre avec de longs pinceaux et de la peinture à la colle
que nous chauffions. Nous avons beaucoup appris de cette manière là.

Vous composiez, je crois, vos affiches sur des châssis que vous tendiez de papier — qui avait tendance, d’ailleurs, à faire gondoler le châssis.
Vous savez, le papier mouillé a une force extraordinaire. Il se rétrécit et nous avons retrouvé plus d’un châssis, le matin, inutilisable.

Quels étaient alors vos condisciples ?
Un certain nombre de filles d’abord — qui étaient toutes amoureuses de Paul Colin — et beaucoup d’étrangers et d’étrangères, ce qui fait qu’une fois l’école finie, je les ai à peu près perdus de vue. Edgar Derouët, lui, partait quand j’arrivais. Au bout d’une dizaine d’années, il a abandonné l’affiche et s’est tourné vers la fabrication. Il est devenu imprimeur chez Bedos, tout en restant très ami avec les affichistes. A part ça, certains ont percé, mais peu. L’époque avait changé, c’était l’époque des agences. »

→ Laurent Gervereau, cit. Portrait d’un affichiste

« Nous autres affichistes, nous avons été obligés de prendre le maquis. Le pays était occupé par les armées du marketing. »

→ Lire la suite de l’entretiens.

Plus de ressources sur Bernard Villemot :

Réécouter l’émission Le gratin 11 consacrée à Villemot
Portrait d’un affichiste, entretiens entre Laurent Gervereau et Bernard Villemot
Consulter le dossier de presse de l’exposition Villemot, peintre en affiche
→ Différents articles sur advertisingtimes.fr, lemonde.fr
→ Consulter l’ouvrage Villemot, peintre en affiche
→ Une très belle galerie d’image sur amolenuvolette.it
Une interview mené par Laurent Gervereau dans on article Portrait d’un affichiste


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