Jérémie Fischer

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Photographies de couverture et de l’article © Jérémie Fischer
Jérémie Fischer (né en 1986) est un jeune illustrateur et auteur de BD diplômé de l’École Supérieure des Arts Décoratifs de Strasbourg. Il participe à plusieurs magazines d’arts graphiques et réalise des livres qui sont souvent issus de ses travaux de résidences.

Bonjour Jérémie, comment vas-tu ?
Plutôt bien, le travail reprend tranquillement après une fin d’année intense.

En quelques mots, peux tu te présenter ? Nous parler de ton parcours et de tes expériences professionnelles ? Où vis tu ? Quel est ton quotidien ? Et comment définierais-tu le métier d’illustrateur ?
J’ai fait mes études à Strasbourg, à l’école des Arts Décoratifs (actuellement la HEAR) en section Illustration. J’ai aussi passé un semestre de mes études à Leipzig, dans la classe de Thomas Müller. Une période courte mais déterminante rétrospectivement…
À la suite de mon diplôme en 2011 je suis parti vivre à Montreuil pour y faire un stage de sérigraphie à l’Atelier de Bibliophilie Populaire (actuellement atelier Co-op à Maisons-Alfort), puis j’ai travaillé comme sérigraphe, à mon compte et pour la société Les Démons à Bagnolet pendant 2 ans. C’est à cette période qu’ont été publiés mes premiers livres (L’éléphouris, Le Royaume Quo, Alphabet…), puis je suis parti à Lyon où je vis depuis bientôt 5 ans.
Je n’ai pas vraiment de quotidien, je bouge beaucoup, mon emploi du temps s’organise autour de mes différents projets de créations, de commandes, de médiations. Je n’ai pas d’idée très précise de ce qu’est un illustrateur, son métier, même si j’en fais probablement partie. J’ai assez peu d’expérience d’illustration à proprement parler.

Tes projets sont souvent à plusieurs mains, comment abordes-tu la question de la collaboration ?
Graphistes (Marine Rivoal…), auteurs (Jean-Baptiste Labrune…) , éditeurs (Magnani, Hélium, Les Grandes Personnes, Thierry Magnier…), atelier (atelier Co-op), scolaires… Cela ne doit pas toujours être évident… souplesse et adaptation doivent être indispensable dans ton approche. Tu dois accepter que tes idées / tes projets bougent pas mal…
Cette mise en danger t’a t’elle toujours été bénéfique et fructueuse ?
Les projets, qu’ils soient personnels, en collaboration ou en ateliers collectifs, sont toujours un nouveaux point de départ. Il faut, de fait, adapter ses envies aux différentes contraintes techniques, contraintes de temps, budget, etc… J’ai beaucoup appris de mes différents ateliers ou résidences de médiations auprès de groupes d’enfants, c’est toujours une balance, un équilibre entre liberté et contrainte. Je pense que mon rôle dans ce travail de rencontres et de donner la première impulsion, donner envie dans un cadre créatif prédéfini avec les différents encadrants. J’ai une vision globale du projet, mais ensuite c’est dans l’échange avec les enfants que vont apparaître d’autres idées, des surprises que l’on attrapera au vol.
En ce qui concerne mes autres collaborations, elles se font par affinités, complicité artistique et humaine. Par exemple Jean-Baptiste Labrune est, jusqu’à présent, le seul auteur avec lequel je travaille. Et ce n’est pas anodin, nous sommes amis depuis le collège et nous avons commencé à travailler ensemble bien avant la publication de notre premier livre L’éléphouris, livre édité par les éditions Magnani en 2012. La rencontre avec Julien Magnani, par l’intermédiaire de Nyctalope a d’ailleurs été primordiale pour Jean-Baptiste et moi puisque nous continuons à collaborer ensemble 7 ans après, avec la plus grande liberté. Avec Marine c’est une autre forme de création commune, liée à une résidence de recherche en Ardèche. C’est l’opportunité d’explorer de nouvelles pistes, d’essayer de nouvelles techniques, sans savoir vraiment où cela va nous mener pour le moment. C’est encore une ancienne rencontre puisque Marine collabore aussi aux revues Nyctalope et Pan depuis le tout début.

Tu es à l’initiative de projets qui regroupent des talents multiples : en 2009 la revue Nyctalope, en 2013 la revue Pan… Cette volonté de croiser les regards, les talents, les approches et les styles, semble te tenir à coeur, peux-tu nous parler davantage de ces expériences ?
Y’a t’il d’ailleurs un N° en cours de préparation ? Ou bien un nouveau projet à talents multiples ?
Le projet de la revue Nyctalope a été initié par notre professeur d’Illustration à Strasbourg, Guillaume Dégé. C’était pour lui, une façon de regrouper des personnalités très diverses autour d’une revue collective, ce qui nous a permis d’être plus facilement identifiés par le milieu professionnel, de faire « corps » pourrait-on dire, même si nous n’en avons eu conscience que bien longtemps après.
La revue Pan est, elle, une initiative commune avec Jean-Baptiste de faire travailler en regards des dessinateurs et des écrivains, c’est un terrain de jeu, d’expérimentation. Aucune contrainte si ce n’est réagir à un texte ou a une série de dessins. Je m’occupe du choix des dessinateurs, que l’on retrouve pour la majorité d’année en année, j’aime voir leurs travaux évoluer au fil des numéros. C’est aussi un espace pour publier de l’inachevé, des tentatives graphiques qui fonctionnent… ou pas. Ce qui était le cas pour Nyctalope avant que la revue ne se transforme un peu trop en catalogue d’images sur les derniers numéros.
Nous préparons actuellement Pan 5 pour l’automne 2019, qui présentera 4 textes de création en relation à 3 séries de dessins de Flore Chemin. Nous envisageons également de publier des premiers romans en 2020.

On note plusieurs résidences où tu as été amené à travailler avec des enfants : Atelier correspondance, Atelier chutes de papier, Atelier Eléphouris… On pense également à ton travail en résidence à Roanne où les leporellos « Hululement », « Calligrammes » et « l’école des trois amis », ont sacrément fait chavirer le coeur d’Index Grafik ! Comment parviens-tu à mettre en place ce genre de projet ? Contactes-tu les écoles directement ? Avec un projet de départ bien définit ? Ou bien est ce bien souvent un projet qui se construit peu à peu avec les enseignants et les enfants ?
Y’a t’il des tranches d’âges que tu préfères ? Et si oui, lesquelles et pourquoi ?
Ta posture nous sensibilise tout particulièrement, aussi par ce que ton rôle en tant que graphiste-illustrateur va bien au delà de faire « une belle image ». Chef d’orchestre, pédagogue, faiseur de livres, coordinateurs…comment toi tu vois ta place là dedans ?
Je ne contacte pas moi même les structures (écoles, médiathèques, associations…) pour réaliser ce genre d’interventions. Ce sont des propositions qui entrent souvent dans le cadre d’un PLEAC (Plan Local d’Education aux Arts et à la Culture), cela prend la forme d’une résidence-mission de 1 ou 2 mois qui se déroule exclusivement autour d’un projet de médiation et qui va être organisée par un acteur culturel (asso, médiathèque) qui travaille avec la communauté de communes et qui est en partie financée par la DRAC. C’est ce type de résidence que j’ai effectué à Roanne, dans le Pays Roussillonnais et récemment dans les Pyrénées. J’ai pu, lors de ces résidences, mener des projets d’éditions avec les classes, des projets plus ou moins liés à mes recherches du moment, ce qui à donné des livres accordéons à Roanne, ou la collection de livres animés à spirale en vallée du Rhône. Nous avons eu la chance à chaque fois de pouvoir imprimer les livres des enfants en sérigraphie, ce qui donne un résultat très qualitatif et permet aux classes de comprendre la chaîne du livre en passant par toutes les étapes de fabrication (format, impression, reliure…). C’est d’ailleurs dans les Pyrénées que le travail a le plus été abouti d’un point de vue pédagogique car ce sont les enfants eux-même qui ont pu imprimer leurs couvertures grâce à une sérigraphe locale qui se déplaçait dans les écoles.
Mes projets de médiation ne prennent pas toujours cette forme, c’est parfois plus ponctuel lors de salons du Livre, ou parfois ce sont des workshops en école d’art avec des étudiants… Il y a toujours à faire, je pourrai y passer mon année ! Mais j’essaie de faire attention à équilibrer les temps de création et de médiation pour que cela reste un plaisir.

Je n’ai pas vraiment de tranches d’âges préférées, ne sachant pas réellement à quelle tranche d’âges s’adressent mes livres. Dans le Pays Roussillonnais je travaillais surtout avec des grandes sections de maternelles (et des élémentaires pour réaliser des fresques en papier découpé), c’était parfait pour travailler de façon expérimentale dans des petits livres quasi-abstraits. Dans les Pyrénées je ne voulais pas de maternelles et préférais les élémentaires car le projet faisait intervenir des notions de déplacement et de temporalité pas évidentes pour les petits. J’essaie de m’adapter à chaque fois, en gardant en tête les notions de plaisir, d’échange et d’expérimentation. Je ne sais parfois pas très précisément ce que va donner la rencontre en arrivant en classe, dans les Pyrénées je voulais démarrer par des randonnées avec les enfants (ce qui a pu se mettre en place grâce à une super équipe d’institutrices qui ont fait appel à des accompagnateurs montagne), puis nous avons commencé le travail de création à partir des découvertes lors de notre petite randonnée.
Il y a des envies de projets puis ces envies vont se confronter, dialoguer puis s’adapter aux envies des organisateurs, des institutrices et instituteurs, aux possibilités techniques et temporelles…

Tes résidences t’amènent à bouger pas mal : Roanne, Manosque, Saint-Melany, Villeurbanne…
Est-ce l’une des raisons pour laquelle la notion de paysage est récurrente dans ton travail ?
Est-ce que cette souplesse des rencontres et cette souplesse géographique te nourrit ?
Oui ces résidences me font beaucoup bouger en effet, je suis resté à Lyon seulement 3 ou 4 mois sur toute l’année dernière ! C’était trop et j’ai décidé de limiter un peu les déplacements cette année. Mais c’est en effet très nourrissant, mon travail sur le Paysage s’est d’abord développé en résidence à Manosque, résidence très différente de celles citées plus haut, il s’agit ici d’une résidence de création (donc la majeure partie du temps dédiée à la recherche et aux projets personnels). J’ai passé, de fait, beaucoup de temps à me balader, dessiner sur le motif, et ce n’est pas vraiment un hasard que cela ait donné mon travail de paysages découpés dont une sélection est présentée dans le Recueil N°1 (éditions Magnani). Qui s’est développé ensuite à Saint-Mélany en Ardèche lors d’une autre résidence de recherche autour du paysage.

Collage, linogravure, crayon, peinture… tes outils et tes médiums sont pluriels, mais on remarque tout de même une sincère prédilection pour la sérigraphie. Pourquoi ? Comment as-tu découvert cette technique d’impression ?
Est-ce que la sérigraphie t’oblige à penser / construire ton image différemment ? Penses tu que ces contraintes de process contribuent à définir ton écriture graphique ?
Comment t’es-tu construit ton style graphique ? Quelles sont tes influences / tes inspirations ?
J’ai découvert la sérigraphie aux arts décos de Strasbourg, c’est par cette technique que j’ai commencé à aborder la couleur. Avant je ne travaillais qu’en noir et blanc… Oui bien sûr c’est une technique qui a modelé mon dessin, ma façon de penser les images, de les composer. Elle a été à l’origine de la conception de mes livres animés Animaux et Alphabet qui jouent sur la transparences et la superposition des couleurs.
Le papier découpé est aussi une technique que l’on peut associer à ma façon de travailler la sérigraphie, par aplats successifs que je découpe au scalpel dans du film inactinique. Même la couleur de mes papiers découpés est réalisée par couches successives.
La sérigraphie permet aussi à moindre coût d’envisager la réalisation de petites éditions de livres expérimentaux, et donc de comprendre et de se poser les questions qui jalonnent les différentes étapes de fabrication d’un livre.
J’ai commencé à découvrir à ce moment là différents artistes du livre qui m’inspirent beaucoup, en vrac : Enzo Mari (dont son livre La Balançoire a été une révélation), Bruno Munari, Vladimir Lebedev, Kurt Schwitters, Paul Cox, Warja Lavater, Katsumi Komagata, Kveta Pakovska

Peux tu nous parler d’un projet qui te tient à coeur en particulier ?
J’ai le projet de réaliser une collection de petits livres animés expérimentaux sur le modèle de la collection 10X10 réalisée en résidence avec des maternelles, je m’y attèle en ce début d’année. J’ai aussi deux autres livres en cours avec les éditions Magnani mais on en reparlera l’année prochaine !

Un grand merci à Jérémie Fischer d’avoir pris le temps de partager tout ces détails sur son approche et son métier. Merci !

→ Pour aller plus loin : jeremiefischer.fr