Learning from Las Vegas et controverse

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« En 1972, les architectes américains Denise Scott Brown et Robert Venturi publient Learning from Las Vegas (L’enseignement de Las Vegas), analysant dans cet ouvrage la nouvelle forme d’urbanisme que représente le modèle de l’architecture ludique, commerciale et populaire de la célèbre ville. Ils y constatent, notamment, l’omniprésence des enseignes publicitaires en avant des ‹ hangars décorés › qu’elle voile et magnifie ; ils désignent du nom de ‹ canards › les bâtiments dont les formes miment la fonction, par référence à une boutique (1931) de Long Island construite en forme de canard géant – Big Duck – pour la raison qu’on y vendait du canard. Devant ces constats, comment ne pas penser à Hollywood et aux lettres géantes qui, depuis 1923, s’étalent sur une colline de Los Angeles ? La cité du cinéma s’y authentifie clairement comme fondée sur l’artifice, elle dont les décors réduits à des façades sont en même temps illusion du réel et clin d’œil à l’intention du spectateur.

Cette exubérance signalétique et cette expressivité débridée, présentes dans les deux villes, semblent à Scott Brown et Venturi être partie prenante de certains fondements de la culture populaire américaine. On n’a pas manqué de leur opposer que Las Vegas présentait plutôt les traits d’une culture imposée à des consommateurs passifs ou au mieux éblouis par le clinquant. Véritable phénomène, l’ouvrage fait polémique depuis sa sortie opposant deux types d’éthiques architecturales, l’une défendue par Venturi reposant sur l’analyse objective de la ville et de ses dérives, l’autre prônant un engagement social critique. »
→ cit. mediation.centrepompidou.fr

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« C’est peut être dans le paysage quotidien, vulgaire et dédaigné, que nous trouverons l’ordre complexe et contradictoire dont notre architecture a un besoin vital pour former des ensembles intégrés au cadre urbain. »

Dernière phrase du livre

« Dans Learning from Las Vegas, Robert Venturi et Denise Scott Brown définissent les éléments permettant d’être dirigés à travers le paysage. C’est le cas principalement des panneaux publicitaires, que l’on retrouve partout au bord des voies, mais aussi des types d’édifices qui composent la ville et la distribution dans la trame viaire, notamment le long de la principale rue de Las Vegas, appelé le Strip.

Le développement de leur analyse commence par la présentation du Strip. Ils pensent que Las Vegas est le nouveau Rome en créant des analogies entre les deux villes, particulièrement en reprenant les plans de Nolli, et en les transposant à partir du Strip. Cela permet de distinguer les entrées dans la ville, les implantations des bâtiments, leur typologie, la distribution à partir de la rue et la présence de parkings, mais aussi les enseignes qui peuvent être perçues depuis la route pour en dresser une analyse précise et représentative. La ville est une représentation et une accumulation d’éléments de communications permettant l’apprentissage depuis le Strip. Elle est conçue PAR la rue et DEPUIS la rue, avec une présence permanente de systèmes visibles depuis l’intérieur du véhicule et créés pour l’automobile. Pour eux l’avenue représente : ‹ l’archétype de la rue commerçante, le phénomène qu’elle constitue, pris dans sa forme la plus pure et la plus intense, c’est la Route 91 qui traverse Las Vegas. Nous croyons qu’une documentation précise et qu’une analyse soignée de sa forme physique sont aussi importantes pour les architectes et urbanistes d’aujourd’hui que l’était l’étude de l’Europe médiévale et de l’Antiquité grecque et romaine pour les générations précédentes. Une telle étude aidera à définir ce type nouveau de forme urbaine qui s’implante à travers l’Amérique et l’Europe et qui est radicalement différente de celle que nous avons connue auparavant. ›

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Ils effectuent par la suite une analyse typologique des bâtiments, en distinguant principalement deux types : les canards et les hangars décorés. La question d’un bâtiment formant un signe est définie par l’exemple du canard architectural par Venturi. Par l’intermédiaire de cette appellation, il fait référence à la boutique Big Duck à Long Island, construit sous la forme d’un canard pour une boutique spécialisée dans la vente de canard. Cela représente un type d’architecture pour laquelle les bâtiments ont une forme originale, curieuse, voire publicitaire, dans le but de créer une attraction visuelle dans un paysage. Au contraire du hangar décoré, qui n’est qu’une simple boite volumétrique avec des panneaux publicitaires. ‹ Pourquoi prônons-nous le symbolisme de l’ordinaire (symbolism of the ordinary) au moyen du hangar décoré plutôt que le symbolisme de l’héroïque (symbolism of the heroic) au moyen du canard sculptural (sculptural duck) ? Parce qu’il ne convient pas à cette époque et que notre environnement n’est pas un environnement qui appelle la communication héroïque à travers une architecture pure. (…) L’iconographie et les moyens d’expression multiples de l’architecture commerciale de bord de route (the iconography and mixed media of roadside commercial architecture) ont montré le chemin si nous consentons à les regarder. ›

Las Vegas est construite pour la voiture, avec un développement linéaire le long d’un axe principal reliant l’aéroport au centre. C’est un manifeste architectural pensé pour l’automobile, avec chaque fonction conçue pour la voiture et dirigée vers la rue. C’est pourquoi, pour mener à bien cette analyse, Robert Venturi, Denise Scott Brown et leurs étudiants ont parcouru la ville de Las Vegas en voiture, à partir de laquelle ils ont filmé et photographié l’intégralité de leur parcours. »
→ Florian Arrivault, Vincent Blactot, Amaury Vaillant cit. socioarchi.wordpress.com

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Muriel Cooper for Robert Venturi, Denise Scott Brown, and Steven Izenour, A Significance for A&P Parking Lots, or Learning from Las Vegas (Cambridge: MIT Press, 1972).

« Dès qu’elle prend en charge la mise en page de Learning from Las Vegas, à l’automne 1971, Muriel Cooper entre directement en conflit avec les Venturi. Ces derniers se sont en fait adressés aux MIT Press avec une idée bien précise de ce qu’ils souhaitent pour leur livre. Au sein de l’agence Venturi & Rauch, ils ont déjà réfléchi au choix des illustrations, au calibrage du texte, au découpage des parties, etc. La composition graphique que propose Muriel Cooper ne plaît pas aux architectes de Philadelphie qui, très vite, la jugent ‹ esthétiquement inappropriée et à contresens du contenu du livre. › Ils lui reprochent son esthétique de la page blanche et une trop grande proximité avec la simplicité moderniste qu’ils critiquent justement dans le livre. Ils redoutent plus généralement que le contenu soit déformé et éclipsé par une mise en page trop expérimentale. Muriel Cooper s’efforce pourtant de satisfaire les auteurs qui, dans leur texte, parlent d’inventer de nouveaux dispositifs pour rendre compte de la forme urbaine inédite de Las Vegas. Ils y affirment en effet que ‹ les techniques de représentation venant de l’architecture et du planning nous gênent pour comprendre Las Vegas. Elles sont statiques quand Las Vegas est dynamique, contenues là où elle est ouverte, bidimensionnelles là où elle est tridimensionnelle… › . Par l’assemblage libre de l’iconographie, la composition asymétrique des pages et le design dynamique qu’elle conçoit, Muriel Cooper tente d’immerger les lecteurs au coeur de Las Vegas. Là où les Venturi souhaitent coller au texte et donc s’en tenir à une mise en page traditionnelle, la graphiste propose une expérience visuelle hors norme.

Ce désaccord sur les moyens à mettre en oeuvre, ce ‹ combat intellectuel › comme le dit rétrospectivement Muriel Cooper, s’apparente à une lutte d’ego entre auteurs et éditeurs pour la maîtrise de la publication. Le rapport de force culmine avec les différentes propositions que Muriel Cooper fait pour la couverture de l’ouvrage, auxquelles les deux architectes s’opposent systématiquement sans avoir gain de cause. Ils se voient ainsi imposer une jaquette qu’ils détestent. Le désaccord est si profond que les MIT Press doivent finalement programmer deux éditions, comme en témoigne a posteriori l’un de ses responsables, Roger Conover : Robert Venturi et Denise Scott Brown trouvèrent son design si offensant et insultant pour leurs idées qu’ils menacèrent de retirer leur publication. »
→ Valéry Didelon cit. La controverse learning from Las Vegas

→ Consulter l’ouvrage Learning from Las Vegas
→ Consulter l’ouvrage La controverse learning from Las Vegas par Valéry Didelon
Une émission de France Culture sur le sujet
Quelques pages numériser de l’ouvrage
→ Consulter L’enseignement de Las Vegas : histoire d’une controverse critique
→ Un article sur observatory.designobserver.com