Charles & Ray Eames

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Photographie du portrait : Development of Aluminum Chairs, with Ray and Charles, 1958.
© Prints & Photographs Division, Library of Congress.

Le couple de designers américains Charles et Ray Eames est une légende du modernisme des années 1950-1970. Éclectiques, ils vont réaliser pendant 40 ans des meubles parmi les plus emblématiques de leur siècle et s’illustreront également comme réalisateurs de films, scénographes d’expositions, concepteurs de jouets, graphistes ou encore architectes. Ils sont parmi les premiers à travailler le contreplaqué cintré ainsi que le plastique, et contribueront a faire évoluer le design vers la production de masse.

« Charles Eames était architecte et dessinateur industriel ; Ray, une adepte de l’expressionnisme abstrait. Tous deux suivent le credo moderniste : associer l’industrie et l’art pour le bien de la société. Ils se sont rencontrés à la Cranbrook Academy of Art en 1940, et se sont liés d’amitié avec d’autres grands noms du modernisme de l’époque, tels Eero Saarinen et Harry Bertoia… Charles et Ray se marient en 1941 et s’installent à Los Angeles. Comme bien d’autres créateurs de l’époque, ils sont fascinés par la malléabilité du contreplaqué. Ils désirent créer des meubles plaisants et abordables, aptes à satisfaire à la fois les consommateurs, les fabricants et les créateurs. Dès 1940, Saarinen et Eames remportent le concours Organic Design in Home Furnishing en proposant des meubles qui épousent les formes, composés d’une coque de bois contreplaqué, recouverte de caoutchouc mousse ; en réaction à la rigidité moderniste du Bauhaus. La Womb Chair de Saarinen, produite après-guerre reprend ce principe, offrant au corps une palette de façons informelles de l’occuper.

« Je m’intéresse aux meubles, et particulièrement aux chaises, parce que ce sont des pièces à échelle humaine… C’est pour cela que les architectes créent des meubles, pour créer une architecture que nous pouvons tenir entre nos mains » – Charles Eames

 

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C’est à la faveur d’une commande du gouvernement que Charles et Ray démarrent, en 1942, leur premier projet commun : fabriquer des attelles pour le transport des blessés de l’US Navy […] Le succès de la production de masse des attelles ouvre la voie à la fabrication de meubles […] Épouser les courbes du corps humain pour obtenir un confort optimal, tel restera toujours le but des Eames, que ce soit avec le bois, la fibre de verre – pour la première fois, ce matériau employé dans l’aéronautique se voit décliner dans l’ameublement – le fil d’acier chromé ou l’aluminium.

Inspirés par une source insolite (une chips), ils imaginent une chaise dont le dossier et l’assise, séparés, sont en contreplaqué légèrement incurvé : la LCW (Lounge Chair Wood) […] Très admirée, elle est immédiatement mise en production par le fabricant de mobilier Herman Miller. Les contours adoucis de la LCW seront ensuite déclinés dans de nombreux modèles. Son style révolutionnaire contribue à classer Charles et Ray Eames parmi les plus grands designers de leur temps. […]

Leur première incursion dans le marché du luxe est un grand succès. Le fauteuil 670 et le repose-pieds assorti, 671, de 1956, sont deux de leurs classiques les plus appréciés. Inspiré par “ l’aspect d’un gant de baseball usé ”, le siège est formé de trois coussins en cuir enchâssés dans des coques de contreplaqué sur un pied pivotant en métal. Au fil des ans, Charles et Ray Eames poursuivent leurs expérimentations avec de nouveaux matériaux, comme le grillage métallique et l’aluminium. Ils produisent encore de nombreux classiques, dont l’Aluminum Management Chair, de 1958. Les progrès de la science et des technologies jouent un rôle déterminant dans leurs créations. Ils défendent avec passion l’idée que ces innovations doivent être mises à la portée du plus grand nombre. Ils considéraient que leur mission était “ d’offrir le meilleur du meilleur au plus grand nombre de gens pour le moins d’argent possible ”. »

– Judith Miller cit. Le grand livre du design et des arts décoratifs

 
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« Dans les années 50, Charles et Ray Eames mettent au point, en collaboration avec la société Zenith Plastics, une technique alliant matière synthétique et fibres de verre et créent une forme associant dossier et assise. Cette coque qui englobe le corps en position assise doit être élevée et soutenue par un piètement pour devenir un siège. Le siège est donc divisé en deux parties distinctes. Il sera nommé la Fiberglass Chair. À partir de ce moment là, toute une gamme de plastics chairs est ensuite développée en collaboration avec Herman Miller Furniture Compagny. Si la coque existera avec et sans accoudoirs, elle restera une forme fixe. Le piètement lui sera l’objet d’un travail long et pointilleux pour Charles Eames. En effet, il en déclinera de multiples variations très différentes, tant dans la forme que dans les matériaux, s’attachant au détail de ce lien entre assise et piètement. Il est intéressant de savoir que selon lui, le design est “ une méthode de mise en place des composants pour parvenir à la meilleure solution d’un problème particulier ” […]

“ Charles Eames ne crée pas ses chaises en tant que type élémentaire ; il ne les considère pas comme un article mais comme une combinaison d’éléments possédant chacun ses propres fonctions : un siège, un dossier et un piètement. Ces éléments sont complets par eux-mêmes et doivent ensuite être réunis. L’endroit où ils sont assemblés et la façon dont ils le sont est un problème de la plus haute importance pour Charles Eames. Pour joindre siège et piètement, il a développé son plot de caoutchouc vulcanisé, caractéristique la plus marquante de ses chaises ” […] L’étroitesse des liens que Charles a réussit à mettre en place dans ses objets peut s’expliquer également par la richesse et la diversité de ses sources d’inspiration et par l’étendue de ses connaissances allant de la sculpture moderne à la construction mécanique. La multiplicité des points de vue et des modes de pensée l’ont certainement aidé à acquérir une justesse dépassant les dures lois des domaines. Parvenir à faire preuve d’une pensée globalisante tout en faisant appel à des connaissances spécifiques est certainement ce qui donna une telle ampleur à ses projets.

– Fanette Pesch cit. Le design : d’une pensée individuelle vers un ouvrage collectif

 
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Dotés d’un sens poussé de l’aventure, Charles et Ray Eames ont converti leur curiosité et leur enthousiasme illimité en créations qui en ont fait un formidable couple de designers. Le succès du couple est dû au fait qu’ils abordaient chaque projet de la même façon : nous intéresse-t-il et nous intrigue-t-il ? Pouvons-nous l’améliorer ? Allons-nous vraiment avoir du plaisir à y travailler ? Ils passaient leur temps à associer des images, à les juxtaposer. Intimes ou publiques, scientifiques ou anecdotiques, même traitement. Cet immense moodboard est le petit-cousin du tentaculaire Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg. Offrant ainsi une réalité visuelle aux théories de l’information d’alors. Le couple prône une approche universelle de leur discipline, s’exprimant à travers de nombreux supports : architecture, mobilier, film, textile, exposition de musées, magazines… et jeux ! Leur philosophie est de générer des connexions entre les disciplines, qui se répondent entre elles. Architectes ou designers ? Charles & Ray Eames sont tout à la fois !

« En 1943-1944, Charles et Ray Eames commence à travailler sur un jouet en contreplaqué en forme d’éléphant, souvenir de leur voyage en Inde. Il fabriqueront deux prototypes, dont le seul survivant est toujours en possession de la famille Eames. A l’époque, le jouet n’est pas produit en série pour cause de fabrication trop complexe. En 2007, Vitra célèbre les 100 ans de Charles Eames en éditant 2000 éléphants, copies conformes du modèle initial. Le succès est immédiat, les éléphants ne tardent pas à s’écouler comme des petits pains. Présenté pour la première fois au MoMA en 1945, l’Elephant est une de leurs premières réalisations. Le mobilier pour enfants leur permettait d’expérimenter plus facilement, tout en s’amusant avant de passer à un plus gros mobilier : “ Les jouets ne sont pas aussi innocents qu’ils le paraissent. Les jouets et les jeux sont les préludes à des idées sérieuses. ” (Charles). Le projet initial était de réaliser un objet qui soit autant un jouet qu’un meuble, en forme d’animaux : phoque, ours, grenouille, éléphant, cheval ; des animaux généralement appréciés des jeunes enfants. Mais seuls le cheval et l’éléphant seront finalement réalisés. »

– cit. Blog Esprit Design

 

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« Le couple récidivera en 1951 avec la conception du jeux d’assemblage intitulé “ The Toy ”, vendu par la société Sears, Roebuck and Co. Ce kit de construction sera édité également en 1952 dans une version plus petite. La même année ils créent également House of Cards. Le jeu est composé de plusieurs cartes, toutes imprimées d’une image différente. Pour choisir ces images, Charles & Ray Eames se sont inspirés de leurs voyages et des petites merveilles du quotidien, en observant les détails nostalgiques du foyer. Crayons de couleurs, petits objets de porcelaine, papier-peint et allumettes : tout est précieusement répertorié et imprimé sur les cartes rectangulaires. Chacune de celles-ci comporte 6 encoches ; de cette façon, il est possible de les assembler entre elles pour réaliser des structures en trois dimensions. Château imaginaire ? Tour géométrique ? Dédale de tunnel ? Les possibilités de construire sont infinies ! La combinaison des différentes images, le tout en perspective, donnent un résultat surprenant. Le jeu se décline en trois tailles; Little, Medium et Giant. »

– cit. monpetitart.com

 

« Lancé en 1945 à l’initiative de John Entenza, rédacteur en chef de la revue Arts & Architecture, le Case Study House Program avait pour objectif de concevoir et de construire des modèles de maisons individuelles économiques et fonctionnelles tout en utilisant des matériaux industriels et de récupération. Pour John Entenza devaient être reproductibes et conçues dans l’esprit de l’époque, en utilisant les techniques de préfabrication les mieux adaptées à l’expression de la vie de l’homme dans un monde moderne. Les architectes sollicités sont parmi les importants de l’époque : Richard Neutra, Raphael Soriano, Craig Ellwood, Charles et Ray Eames, Pierre Koenig et Eero Saarinen.

La CHS n° 8 (Case Study House n° 8) est conçue à l’origine par Charles Eames et Eero Saarinen […] La maison se compose de deux bâtiments adjacents à double hauteur, l’un servant d’habitation et l’autre d’atelier. Les deux volumes normalisés et auto-constructibles reflètent l’intention de rompre avec la conception conventionnelle de la maison pour rechercher la simplicité, l’autonomie et la flexibilité. Pour Eames, les meubles comme les pièces d’habitation sont des éléments “ itinérants ”. La structure en acier a été seulement installée en 90 heures. L’enjeu était double : démontrer les possibilités offertes par la préfabrication et réduire les coûts.

La Case Study House n° 8 sera la propre maison et studio de travail du couple Eames. Sa voisine, la CSH n°9, celle de John Entenza […] Bien que différente, l’une est verticale, l’autre horizontale, la CSH n°9 est construite sur le même système structurel, avec les mêmes matériaux industriels. Un mur de verre de 11 m ouvre sur la prairie et l’océan, servant le mode de vie californien largement ouvert sur l’extérieur. »

– cit. lesommer.fr

 
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« En 1959 à Moscou, l’Exposition Nationale Américaine fait des réfrigérateurs et des machines à laver d’alors les moteurs d’une opération destinée à montrer aux Soviétiques les bienfaits du capitalisme. Les Eames sont chargés de réaliser un film, Glimpses of the USA, projeté sous un immense dôme conçu par Buckminster Fuller. Pour Moscou, les autorités américaines leur commandent un film, “ sept mille quatre cents mètres carrés d’espace d’exposition ne (parvenant) à communiquer qu’une partie de ce que nous voulions dire ” rapporte Colomina. Les Eames imaginent un procédé multi-écrans, qui immerge le public moscovite dans une Amérique idéalisée. Dans cette mosaïque, la caméra démarre dans le ciel, et plonge dans les foyers américains […] Le film est un déferlement de répétitions visuelles, des thèmes se retrouvant simultanément dans les sept écrans. Ce qui lui vaudra d’être qualifié de “ Blitz ” par un journaliste de l’époque. Pour cette attraction qui rameute le public moscovite, les Eames, fascinés par le cirque et la machinerie hollywoodienne, empruntent aux deux univers la “ multiplicité d’expériences simultanées que le spectacteur ne peut pas saisir dans leur intégralité ”. Efficacité et fausse facilité, donc, mais également sensation de contrôle pour les organisateurs, le dispositif multi-écrans se teinte de l’architecture des “ War Rooms ”, remplies d’une énorme violence, mais uniquement symbolique.

Les Eames poursuivent le dispositif multi-écrans, cet entremêlement entre démonstration technologique et procédé divertissant dans Think, en 1964, lors de l’Exposition universelle de New York. Dans le pavillon IBM, l’Ovoïd Theater conçu par l’agence Saarinen, le public, accueilli par un hôte en queue-de-pie, s’asseyait et se retrouvait hissé vers l’intérieur de l’œuf “ où quatorze écrans les encerclaient ” et sur lesquels était projeté le film. Avec le film Powers of Ten, l’agence Eames continue son imbrication de l’architecture, du mode de vie, dans un espace plus général et politisé. Le court-métrage, réalisé dans une version brouillon en 1968 et définitivement achevé et produit (par IBM) en 1977, met l’intimité domestique en suspens au sein d’un système spatial complètement neuf – un système issu d’une ésotérique recherche scientifico-militaire. […] Le fantastique à l’œuvre depuis longtemps dans la science-fiction était devenu réalité». Inspiré de l’essai Cosmic View de Kees Boeke, ce film démarre par un plan sur un couple qui pique-nique près d’un lac. Le champ de la caméra couvre un mètre carré, puis 10, 100, 1000. L’objectif s’éloigne, à chaque fois d’une puissance de dix. On voit la ville de Chicago, les Etats-Unis, la planète Terre, le système solaire, les galaxies. Puis retour près du lac, la caméra se glisse jusqu’à l’infiniment petit, selon le même rythme de puissances de dix, cette fois négatives. Jusqu’à l’atome.

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Dans des mouvements qui préfigurent les fonctions zoom de Google Maps, les Eames installaient la vie quotidienne américaine au centre d’un univers. Et, en dispersant l’attention des spectateurs, ils annonçaient une société de l’information, régie par les technologies. La nôtre en somme, où le rôle de l’architecte est certes de définir l’espace physique, de construire chaises ou bâtiments (peu importe l’échelle), mais surtout d’agencer les données temporelles, les flux d’information […] »

– Clément Ghys cit. Charles et Ray Eames, le design à la conquête de l’espace

 


Plus de ressources sur Charles & Ray Eames :

eamesoffice.com
→ Consulter l’ouvrage An Eames Anthology
→ Consulter l’ouvrage Charles and Ray Eames: Designers of the Twentieth Century
Le génie du design de Charles + Ray Eames, une conférence TED
→ De nombreux articles sur : blog.rowleygallery.co.uk, hermanmiller.com (2), socks-studio.com, creativereview.co.uk, eameshouse250.org, strabic.fr, domusweb.it
→ Regarder les vidéos Introduction to the Work of Charles and Ray Eames, Powers of Ten, Glimpses of the USA, Think, A Communications Primer,
Découvrez le site du Eames Institute et jetez un œil aux collections
→ De nombreuse images sur le pinterest du Eames Office, moma.org
The Story of Eames Furniture: Marilyn Neuhart with John Neuhart – Interview
→ Consulter l’ouvrage Fifteen Things Charles and Ray Teach Us


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