Joëlle Jolivet

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Photographie de couverture © Joelle Jolivet.
Extrait de l’album À Paris écrit par Ramona BǍDESCU et illustré par Joëlle JOLIVET (2014)

Index Grafik est parti à la rencontre de Joëlle Jolivet. Illustratrice parisienne incontournable, elle a publié plus d’une cinquantaine d’albums, dont la plupart sont traduits dans le monde entier. On croise aussi son travail au détour d’une affiche, d’une couverture de livre ou d’un dessin de presse. C’est au sein de son atelier à Ivry que Joëlle prend le temps de nous accueillir pour nous en dire davantage sur son approche en tant qu’illustratrice-graphiste. Voici les quelques notes synthétisées de cet entretien pluvieux mais généreux.

De ses études de graphisme, Joëlle Jolivet a gardé le goût du dessin, de la mise en page et de la typographie. Elle complète ensuite sa formation aux Beaux-Arts à l’atelier de lithographie, ce qui la conduit rapidement vers la lino-gravure, un de ses principaux moyens d’expression aujourd’hui.

FABRICANTE D’IMAGES

A la sortie de ses études en 1987, Joelle Jolivet fait ses premiers pas dans la vie professionnelle avec l’éditeur Syros (collection la souris noire) et Albin Michel (collection carnet du monde) pour qui elle aura l’occasion d’illustrer des récits de voyages autour de différents pays (Sénégal, Etats Unis…). Son approche est donc dès le début, tournée vers une approche documentaire : croquis de voyages, inventaires, listes, abécédaires… Joelle Jolivet se qualifie de « fabricante d’images » avant tout.
Ses albums qui suivent, aux éditions Le Seuil en témoignent : Presque tout, Zoologique, Costumes… nous prouvent à quel point Joelle Jolivet se plait à interpréter, avec son style, des éléments quotidiens piochés aux quatre coins du monde. Ainsi, ours, baleines, indiens, fruits et légumes, danseuses et bateaux se retrouvent agencés, organisés et presque rangés dans de grands albums destinés aux enfants. Proposer une découverte du monde par ses multiples facettes et ses détails grouillants, voilà bien ici l’objectif de Joelle Jolivet.
L’illustratrice qualifie cette période d’exploratoire et sans limites. Il est davantage question d’une réflexion autour de l’image et de son objet que d’une narration mise en image. Les images sont synthétisées et didactiques et apparaissent sous la forme de cartes, de cubes, de mallette… etc.

DES COLLABORATIONS

En parallèle de son approche documentaire, puisque Joëlle Jolivet est moins à l’aise avec l’écriture, elle collabore avec des auteurs.
« Tout est possible, l’éditeur peut vous mettre en relation avec auteurs, on peut arriver en équipe, en duo, arriver avec des projets finis… tout est possible et cela dépend avant tout des rencontres. ».
Depuis plus de 20 ans, l’illustratrice travaille étroitement avec Brigitte Morel (éditrice Les grandes personnes), Sophie Giraud (Editrice d’Hélium) et Gérard Lo Monaco (graphiste chez Hélium, avec qui Joelle Jolivet signera Moby Dick et de nombreux pop-up et pochettes de disques…).
« Parfois il s’agit de commandes où il est question de réelles collaborations (avec l’auteur, avec le graphiste…), on construit en équipe la maquette du livre… D’autres fois, il faut remplir les cases destinées à l’illustration dans des collections où la maquette est déjà figée… C’est le cas par exemple de Paroles de conteurs que j’ai fait en 96 aux éditions Syros (Le loukoum à la pistache et autres contes d’orient, Le roi des oiseaux et autres contes…), la maquette étant déjà pensée, je n’ai pas pu penser à de grandes illustrations généreuses de pleines pages. Chaque projet est singulier, cela dépend des commandes. »

La collaboration entre Joelle Jolivet et Jean-Luc Fromental a commencé autour d’un projet de 5 livres autour des 5 sens dans les années 2000 dont l’ouvrage Monsieur troublevue et son brochet en résulte. Depuis, le duo auteur-illustrateur ne cesse de penser et proposer des histoires foisonnantes et abracadabrantes telles que : 365 pingouins, Rapido dans la ville, Os court, Les 10 p’tits pingouins autour du monde
« Avec Jean-Luc Fromental c’est particulier, on travaille vraiment ensemble, on réfléchit à l’histoire ensemble. Souvent, il a l’idée d’un titre comme point de départ…un jour, par exemple, il s’est réveillé un matin en pensant 365 pingouins, y’a quelque chose à faire autour de ça… On en a discuté ensemble, puis avec l’éditeur… Je pensais à un pingouin tampon qui se multiplieraient au fil de l’histoire et qui viendrait envahir l’espace blanc de la page…bref on a donc fabriqué la narration à partir des images. ». Ensuite, le duo a décidé d’aller encore plus loin avec cette figure universelle du pingouin en proposant Les 10 p’tits pingouins autour du monde, comme 10 petites histoires géopolitiques menées à la manière d’une saga, d’épisodes « à suivre », de Tintin ou d’Astérix… L’idée ambitieuse de départ : un coffret composé de 10 albums souples où les aventures des pingouins se suivent de pays en pays, jusqu’à faire le tour de la planète. La réalité économique du terrain les conduira à un ouvrage de 10 histoires condensées en un seul ouvrage, une petite déception pour Joelle Jolivet et Jean Luc Fromental pour qui ce projet représente beaucoup de travail et possède de nombreux niveaux de lecture.

Pour Le Tigre de miel, Joelle Jolivet a directement été contacté par Karthika Naïr, auteur et poétesse indienne. Après avoir lu l’intégralité du conte en anglais, Joelle Jolivet a été particulièrement séduite par cette histoire et a décidé de se lancer dans l’aventure. Un format carré, un bloc de texte au centre de la page et l’image qui se construit et se déploie tout autour.
« On a beaucoup travaillé ensemble sur la documentation, autour de l’imagerie locale du Bengladesh qui se caractérise par des tracés épais. Cela a été un point de départ pour construire l’ambiance du livre. ». Réalisé en 4 tons directs, le Tigre de miel, a été pensé en résonance avec le choix des couleurs : Joelle Jolivet a décomposé son dessin en 4 calques de masses colorées. Un bleu de Prusse, un jaune indien plus moutarde que criard, un noir et un rose-corail fluo en accent. Les jeux de superpositions ont créé un violet grisé comme 5eme couleur. Pour cet ouvrage, Joelle Jolivet a choisi le pinceau comme médium « plus libre, plus souple et plus en adéquation à l’univers végétal et indien du projet ».

GRANDS FORMATS ET OUTILS MULTIPLES

Ce sont de grands livres, des invitations à se plonger dans un univers graphique… Mais pourquoi ? Rien n’est dû au hasard, le format accompagne lui aussi une démarche qui fait sens. Pour Zoologique par exemple, la taille de l’album correspond à la taille maximale des cartons de transport des éditions du Seuil. « Je voulais que ce soit un livre qu’on puisse accrocher au mur » . Pour 365 pingouins, Joelle Jolivet a tout d’abord réalisé un 1er petit pingouin en lino-gravure, qu’elle a ensuite multiplié 365 fois avec l’ordinateur. Cet ensemble lui a permis de déterminer la taille définitive de l’ouvrage.
« J’aime bien travailler à échelle 1. Je n’aime pas qu’on réduise trop les illustrations ».
Particulièrement reconnue pour son travail de lino-gravure, Joelle Jolivet utilise différents outils graphiques selon la tonalité des histoires. La lino-gravure prend tout son sens pour son approche documentaire et ses réalisations d’imagiers. « Il y a un côté simplification de l’objet, qui relève presque du pictogramme ». Une première étape d’esquisses lui permet d’appréhender son travail de gravure. « Je fais parfois des roughs à la main ou à l’ordinateur… J’intègre toujours la zone du texte dès le début. Et je travaille ensuite en masses colorées… Je dessine au lasso, je taille dedans comme dans une patate, ce n’est pas si loin de la lino en somme ! ». Les éléments lino-gravés sont agencés et colorisés sur ordinateur. Pour l’album Ours, son dernier projet en date, Joelle Jolivet a fait le choix du crayon pour un aspect plus vivant, moins statique et moins brut que la linogravure, avec plus de détails. « Les projets que je réalise avec Jean-Luc Fromental, ça marche moins en lino, tout simplement parce qu’il s’agit vraiment d’histoires…de mouvements… »

QUAND JOELLE FAIT SON SASEK

Et puis, au fil de la conversation, Joelle Jolivet nous dévoile ses inspirations. Sa grande bibliothèque regorge d’ouvrages en toutes langues et aux formes diverses, confirmant ainsi la curiosité de l’illustratrice et son goût pour l’objet livre. Des tableaux de Wagenbreth accrochés au mur, des morceaux de lino-gravure sur le coin d’une étagère… Et puis deux noms qui ressortent : Jiří Šalamoun pour sa liberté dans son approche documentaire, et Miroslav Sasek. « Depuis des années, je voulais faire mon Sasek… Une de mes passions : les villes et Maurice Sasek… C’est ce qui m’a conduit à réaliser A Paris. ».
Ce sont 2 à 3 années de travail pour parvenir aux images définitives de l’album. De la même manière que Sasek, Joelle Jolivet parviendra à rendre vivants les poncifs qui définissent Paris : la tour Montparnasse, le métro parisien, le centre Pompidou et puis la tour Eiffel bien sur… « Quand on pense à l’enfant en tant que lecteur, on ne peut pas ne pas faire les choses évidentes qui font que Paris est Paris. Au départ, je voulais m’éloigner des clichés mais en fait on ne peut pas… alors on joue sur les détails. ».
Joelle Jolivet a dans un premier temps construit des images mentale de ce qu’elle voulait donner à voir de Paris. Ensuite c’est grâce à google street view qu’elle a pu sillonner la ville et trouver les bons points de vue à dessiner et à reproduire en lino-gravure. La phase de documentation représente beaucoup de temps dans son travail et internet lui permet de parcourir le monde en un clic. « Là par exemple je fais Tokyo, je cherche à quoi ça ressemble concrètement avant de me lancer. ». C’est au tour de New-York de passer par la main de l’artiste, puis peut-être Bombay ensuite ?

GRAPHISTE MULTIFACETTE

Joelle Jolivet réalise des affiches, des images pour la presse, des couvertures de livres, des bandes dessinées… « Cela me plait beaucoup de faire tout ça, je ne veux pas être cataloguée illustratrice jeunesse. ». Son approche est pluridisciplinaire et elle se désole de constater que rare sont les artistes qui parviennent à traverser le pont entre l’illustration jeunesse et le graphisme. Quelques exceptions comme Paul Cox ou Blexbolex, mais ils sont trop peu nombreux et la France est encore trop manichéenne. Sensible aux approches plus ouvertes pour qui le croisement des disciplines est une force, Joelle Jolivet nous fait remarquer le festival Jungle, qui se tiendra prochainement à Liège, où graphisme et illustration se rencontrent. C’est cette même raison qui a poussé Joelle Jolivet à accepter notre rencontre pour Index Grafik.

Un grand merci à Joëlle Jolivet d’avoir pris le temps de partager tout ces détails sur son approche et son métier.

Le blog de Joëlle Jolivet
Une interview en vidéo de Joëlle Jolivet