En couverture : Marcel Duchamp, Rotoreliefs, 1935
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« Conçus pour produire l’illusion du volume, les Rotoreliefs constituent un ensemble de six disques de carton imprimés en recto verso, dont les dessins numérotés de 1 à 12 s’intitulent Corolles, Œuf à la coque, Lanterne chinoise, Poisson japonais, Escargot, Eclipse totale ou Spirale blanche. Divertissements visuels, selon leur auteur, d’une taille de 20 cm de diamètre pour les plus grands, ces disques colorés aux motifs psychédéliques avant l’heure s’utilisent sur un phonographe – déployant des effets de creux ou de reliefs fascinants sous l’effet de leur rotation.
Duchamp est très tôt inspiré par la représentation du mouvement […] Il expérimente le mouvement circulaire mécanisé de ses spirales en 1920, avec sa Rotative plaque de verre et sa Rotative demi-sphère, avant de s’interroger : “Au lieu de fabriquer une machine qui tourne, comme j’avais fait à New York, je me suis dit : pourquoi ne pas tourner un film ?”. L’artiste protéiforme décide d’immortaliser en noir et blanc ses Disques optiques dessinés en 1923, et surtout la rotation envoûtante de ces cercles excentriques, dans Anémic cinéma (1925) – film expérimental qu’il coréalise avec l’assistance technique de Man Ray et de Marc Allégret, signé de son double fictif Rrose Sélavy “experte en optiques de précision”. Dix disques optiques sont filmés en plans fixes, image par image, tournant millimètre par millimètre, le temps de 8 bonnes minutes, en alternance avec neufs disques de jeux de mots inscrits en spirales.
Près d’une décennie plus tard, Duchamp à l’idée de montrer ses rotoreliefs en mouvement en utilisant un phonographe, plutôt qu’une caméra. La technologie plus simple et accessible lui offrirait une diffusion moins confidentielle. En 1935, il écrit à Katherine Deier, artiste et mécène des dadaïstes : “Je vais faire un jeu avec les disques et les spirales que j’ai utilisés pour mon film. J’espère vendre chaque boîte pour 15 francs (…) Je l’ai montré à des scientifiques spécialistes en optique et selon eux, il s’agit d’une forme nouvelle, inconnue jusqu’ici, utilisant le procédé du volume et du relief.” Les Rotoreliefs sont déposés en mai 1935 au Tribunal de commerce de la Seine et Duchamp présente son invention au concours Lépine dans la foulée, en août de la même année. Sur son petit stand loué porte de Versailles, les Rotoreliefs sont exposés sur les plateaux tournants de six phonographes Victrola, à la “vitesse optima de 40 à 60 tours à la minute”. L’installation produit un effet 3D, augmenté par l’usage d’un viseur tenu à distance.
Les Rotoreliefs reçoivent la mention honorable dans la catégorie des arts industriels au concours Lépine mais l’opération est un flop commercial complet : trois exemplaires sont vendus dont deux à des amis de l’artiste. […] »
– Blandine Etienne cit. cinematheque.fr –
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