« Figure majeure du graphisme européen contemporain, Wim Crouwel, né en 1928, fut aussi directeur du musée Boijmans van Beuningen de Rotterdam, de 1985 à 1993. Sa production, marquée par la rigueur d’un héritage moderniste, révèle également de profondes affinités avec l’art de son époque et reflète une pratique étendue du design, appliquée tant au domaine culturel qu’au domaine commercial : création typographique, identités visuelles, signalétique, affiches, édition, scénographie d’expositions.
Ce travail est fondé à la fois sur les inépuisables ressources de la grille, matrice de toute composition, et sur l’exploitation constante de l’écrit en tant qu’élément plastique. Crouwel est notamment l’auteur du très expérimental New Alphabet, célèbre caractère typographique conçu en 1967 pour répondre aux nouvelles exigences technologiques, et qui continue de fasciner les jeunes générations. »
→ Catherine de Smet cit. centrepompidou.fr
« Deux dimensions du travail de Wim Crouwel sont aujourd’hui largement reconnues : sa production de systèmes d’identité visuelle (développés notamment au sein de son agence, Total Design) et son expérience typographique audacieuse, le New Alphabet. Si la première lui assure une place importante au sein des graphistes ‹ modernes › dans la lignée des maîtres suisses, la seconde est le symbole éclatant du rôle pionnier que Wim Crouwel joua dans la création et l’émergence du graphisme dit électronique. En effet, il y aurait fort à parier que ce soit ce même Crouwel, pourtant fonctionnaliste revendiqué, fervent de l’Helvetica et de sa neutralité, qui transposa sur papier les premières formes typographiques ‹ électroniques › de l’histoire du design graphique.
Wim Crouwel a à peine plus de trente ans lorsqu’il est informé des recherches menées par l’Allemand Rudolf Hell, inventeur de la composition typographique par ordinateur. Ce nouveau système, qui précipitera la désuétude de la composition traditionnelle au plomb, impose une étape de travail du texte sur écran. Afin de pallier la piètre qualité de reproduction des alphabets ‹ classiques › sur ces écrans, Crouwel inventera, après plusieurs années de recherches, un alphabet dont le dessin ne subirait aucune altération du fait de ces nouveaux dispositifs technologiques. Le New Alphabet naît et il est publié en 1967. […]
Sans doute trop ‹ théorique ›, ou tout simplement illisible, le New Alphabet ne connut de véritable utilisation que grâce à son pouvoir d’évocation d’un futurisme dépassé. C’est d’ailleurs à cette fin que Peter Saville l’utilisera, en 1988, pour la pochette d’une compilation (Substance) de titres de la période 1977-1980 du groupe Joy Division, qui reste l’un des plus célèbres emplois du New Alphabet.
L’expérience audacieuse que constituait le New Alphabet cache trop souvent le travail véritablement pionnier que mena Crouwel à cette période. En effet, durant la décennie 1960 il ne cessera de prêter attention à ces nouvelles formes accompagnant a naissance de l’informatique. Non sans fascination pour les perspectives qu’il y décelait, il se fera le prophète d’une nouvelle ère typographique, étayant sa théorie d’une iconographie futuriste (atomes, vues microscopique de circuits imprimés, clichés d’homme dans l’espace…), dessinera la carrosserie d une voiture futuriste et sera également le mannequin favori de la styliste de mode space-age Alice Edeling. Fustigeant son époque, qui n’avait pas su créer la forme typographique adaptée, Crouwel crée et s’empare de nouvelles formes qui seront, une décennie durant, sa marque de fabrique.
Dès 1964, quelques années avant le New Alphabet, il dessine pour l’affiche de l’exposition Job Hansen au musée Fodor d’Amsterdam un alphabet formé d’une matrice de points évoquant clairement les écrans à diodes lumineuses utilisés alors comme dispositif d’affichage informatique. Avant l’existence même du terme « pixel », et par conséquent la large diffusion de cette notion, Crouwel invente les premières lettres d’inspiration électronique. Influencé par les ordinateurs qu’il observe, il développe et s’approprie un nouveau système de description des formes et, jouant des contrastes et variant la forme des « cellules » mises en oeuvre (rondes ou hexagonales, pleines ou creuses…), l’applique à nombre de ses travaux. De la même façon, et poursuivant son obsession technologique, Crouwel s’inspira des premiers codes-barres pour la conception de l’affiche Visuele communicatie Nederland, en 1969. Ils constituent alors les exemples orphelins dans le paysage graphique de l’époque, encore très marqué par le style international.
À la veille de l’explosion de l’informatique personnelle, Crouwel retourna, dans le cours des années 1970, à un graphisme fidèle à la tradition ‹ moderniste › et abandonna l’usage de ses découvertes. De cette retraite choisie, il observa la naissance de la PAO et le retour du goût pour la facture électronique, qui s’intensifia au cours des années 1980 et 1990 avec notamment l’apparition de la nouvelle vague californienne et le succès des alphabets ‹ bitmap › dessinés par Zuzana Licko pour la fonderie Emigre. À l’image des catalogues d’exposition qu’il concevait pour le Stedelijk Muséum et le Van Abbe Muséum dès les années 1950 et qui présentaient le plus souvent, sous une couverture expérimentale aux couleurs séduisantes, une mise en pages qui satisfaisait tout les canons du modernisme typographique, Wim Crouwel a eu, sa carrière durant, ce don d’ubiquité – ou ce souci de fantaisie lui permettant d’être à la fois le digne héritier des graphistes modernes suisses tout en se livrant à d’hérétiques expérimentations confinant à l’illisibilité. »
→ Emmanuel Bérard cit. Wim Crouwel Architectures Typographiques
Plus de ressources sur Wim Crouwel :
→ Une interview avec Wim Crouwel
→ Consulter Wim Crouwel, regarder, apprendre, savoir,… douter
Différents articles en anglais sur iconofgraphics.com, eyemagazine.com
→ De nombreuses images sur geheugenvannederland.nl, Flickr
→ Consulter Wim Crouwel Peintre en lettres
→ Une présentation de son New alphabet (1967)
→ Consulter une partie de l’ouvrage Dutch Type
→ Télécharger gratuitement l’application Wim Crouwel: A Graphic Odyssey, Digital Catalogue
→ Enregistrement d’un entretiens avec Wim Crouwel
→ Consulter le catalogue de l’exposition 80 20 100
→ Reagarder la video Talking About Swiss Style: Wim Crouwel