« La culture libre, tout comme l’informatique, puise ses origines dans l’évolution des communautés hippies au début des années soixante-dix. En effet, les valeurs de cette contre-culture et les théories cybernétiques de Norbert Wiener ou Marshall McLuhan ont bon nombre de points en commun. La quête spirituelle hippie qui cherche à élargir le champ de la conscience et à inventer de nouvelles manières de se lier aux autres — à travers les drogues psychédéliques par exemple — a trouvé une résonance dans les théories de village global. C’est par exemple avec l’emblématique Whole Earth Catalog de Stewart Brand que commencent à se rencontrer contre-cultures et technologies numériques. En effet, véritable préfiguration de ce que deviendra l’internet, le Whole Earth Catalog propose un ensemble de références théoriques, techniques et pratiques destiné à un mode de vie créatif et autosuffisant. Chaque nouvelle édition du catalogue était augmenté de commentaires, suggestions et remarques de ses lecteurs.
Vêtements, livres, graines y étaient catalogués, mais aussi des références scientifiques et technologiques. Stewart Brand considérait l’outil informatique comme un «nouveau LSD» dans le sens qu’il offrait autant de possibilités d’émancipation et d’ouverture de la conscience que les drogues psychédéliques. Brand a parla suite prolongé son projet avec le WELL, un espace de discussion numérique autour des contenus du Whole Earth Catalog, transposant ainsi l’esprit communautaire hippie vers des communautés numériques, fondées sur des principes d’ouverture, de partage, d’autonomie, de génération de liens sociaux et de production collective de biens communs. […] »
– Étienne Ozeray cit Pour un design graphique libre –
« We can’t put it together. It is together. »
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« Inscrites en quatrième de couverture au-dessus d’une photographie de la terre prise depuis la lune, ces deux phrases clôturent l’édition de juin 1971 du Whole Earth Catalog. Cette parution est la dernière d’une série de publications menée par Stewart Brand et son équipe depuis l’automne 1968, trois années durant lesquelles sont diffusés cinq Whole Earth Catalog et dix Supplement. Titrée The Last Whole Earth Catalog et sous-titrée Access to Tools comme pour chaque livraison, l’édition se présente comme un catalogue d’informations sur différents articles disponibles à la vente en suivant une structuration qui ne changera que peu pour l’ensemble de ses occurrences: «Understanding Whole Systems», «Shelter and Land Use», «Industry and Craft», «Communications», «Community», «Nomadics» et «Learning», chacune composée d’un ensemble individualisé d’informations textuelles et visuelles. Jouant de l’ambiguïté du terme «catalogue», le Whole Earth Catalog n’est pas le rassemblement, la description ou l’inventaire des choses du monde dans le but d’une fixation totalisante. L’absurdité et l’inévitable caractère d’incomplétude d’une telle entreprise sont d’ailleurs marqués de manière définitive par la phrase-slogan de 1971. Le catalogue tel qu’il est conçu dès son origine est en fait pensé comme un système de regroupement d’informations et comme un moyen de diffusion et d’accès à des articles (livres, appareils, outils, fournitures, etc.) jugés nécessaires pour une nouvelle compréhension et appréhension du monde. Chacune des catégories du catalogue est ainsi révélatrice d’une volonté certaine de lier apprentissage indépendant (Quels sont les lieux où se procurer telle ou telle information sur tel ou tel sujet?), interrogation environnementale globale (Comment certaines propositions théoriques permettent à l’homme d’accéder à une nouvelle compréhension de son environnement?) et pratique technique (Comment en fonction des dernières avancées technologiques l’homme peut agir de manière autonome et en étant conscient de son impact sur cet environnement?)
Prenant en charge des interrogations et des réflexions alors en plein essor, le Whole Earth Catalog, installé dans les locaux du Portola Institute à Menlo Park en Californie, se propose d’être un lieu de rassemblement et de transmission, une forme d’émetteur-récepteur de tendances environnementales, scientifiques, technologiques et sociétales. Il se veut un capteur et un diffuseur d’informations rassemblées afin de permettre une mise en réseau et une forme de collaboration entre équipe de rédaction, lecteur, producteur et utilisateur. Érigée en principe de fonctionnement, cette orientation se trouve affirmée en ouverture de chacune des livraisons:
Le Whole Earth Catalog fonctionne comme un dispositif d’évaluation et d’accès. Avec lui, l’utilisateur pourra mieux connaître ce qu’il est bon d’avoir ainsi que où et comment se le procurer. Un article est listé dans le Catalog s’il est jugé: 1) utile en tant qu’outil, 2) approprié pour l’éducation indépendante, 3) de haute qualité ou à bas prix, 4) facilement disponible par courrier. Les listings du Catalog sont continuellement révisés en accord avec l’expérience et les suggestions des utilisateurs et de l’équipe du Catalog.
En s’appuyant sur un fonctionnement collectif, le Whole Earth Catalog est ainsi lui-même un outil dédié à la mise à disposition des informations nécessaires à l’implantation et à la viabilité des communautés autonomes qui se forment depuis la fin des années 1950 aux États-Unis, mais aussi à la mise en relation de groupes sociaux aussi différents que les hippies, les étudiants, les biologistes et les ingénieurs informaticiens.
C’est en suivant ces prérogatives qu’on trouve dans le Whole Earth Catalog tout autant des extraits de livres de Richard Buckminster Fuller ou sur l’art du Tantra que des chroniques sur des manuels de construction de cabanes en rondins de bois, des photographies issues d’un livre sur les formes géométriques des coquillages, des indications sur le moyen de se procurer par courrier des graines biologiques de fruits et légumes, des références sur l’évolution historique des techniques mécaniques chinoises, sur la captation de l’énergie solaire ou les dinosaures, des présentations de catalogues d’outils (pinces, marteaux et échelles), des chroniques de livres sur le macramé ou la vie extraterrestre, des pages consacrées aux ouvrages de Marshall McLuhan (Understanding Media, 1964) et de Norbert Wiener (Cybernetics, 1948), des références de livres historiques sur les villages primitifs, les Kibbutz, les utopies modernes, les massages ou la construction de son propre ordinateur, etc. […] »
– Camille Pageard cit It’s love money ( future ) –
– Consulter un exemplaire du Wole Earth Catalog de 1968, 1969 –