City Performance N° 1
1977-1978 / Affiches sérigraphiées / format 4 x 3
→ Texte extrait du site collection.fraclorraine.org
«Un art qui ne serait pas entré dans la vie sera inventorié au musée archéologique des antiquités.», Rodtchenko
« Considérée à juste titre comme une œuvre anthologique de l’art de la fin des années 1970, les – ‹ NI › – écrits en lettres géantes sont la dénégation des comportements induits par une société postindustrielle où consommation rime avec illusion. En utilisant une formulation simple et directe, l’œuvre sérielle atteint son but. Les – ‹ NI › – sont la négation ultime, la vérité absolue ; ils sont la typographie monumentale sur le lieu de l’écriture futile ; ils invitent le passant à prendre son rêve en charge, à s’interroger sur son véritable espace de liberté. L’utilisation du langage comme matériau ainsi que l’idée d’une pratique environnementale, a conduit Tania Mouraud à une conception que l’on aime à dénommer ‹ art social › ou «politique ›. ‹ Si politique signifie questionner la réalité, démasquer les préjugés, traquer l’idéologie, faire une mise au point sur la réalité, alors mon travail est essentiellement politique. ›
Mais son travail va bien au-delà de cette analyse, et traverse les réflexions propres aux avant-gardes de ce siècle. En quittant l’espace illusionniste de la peinture pour entrer de plain-pied dans l’espace réel, en ne se limitant pas à un seul langage, en utilisant les systèmes codés de la publicité ou de l’art, en brisant l’unicité de l’œuvre, en déroulant ses pratiques dans une transversalité entre les genres et les domaines artistiques Tania a construit un travail de sape qu’il est difficile pour les jeunes générations d’ignorer. Signe des temps, comme d’autres femmes, Barbara Kruger ou Jenny Holzer, Tania Mouraud a investi l’espace public et ainsi élargi l’espace dévolu à l’art, peut-être parce que la galerie et le musée, aussi étriqués qu’ils soient, sont essentiellement réservés aux hommes. »
Béatrice Josse
« Sortir de la galerie, du musée, des espaces obligés. Accepter les règles de la rue : lisibilité = redondance. Ponctuer l’espace urbain de 54 signes en établissant un réseau permettant de toucher d’une part les automobilistes par des ‹ barre-routes › sur les axes de circulation, d’autre part les piétons, ceux qui ne sortent pas de leur quartier : la ménagère, les enfants, les personnes âgées, tout en sachant dès le départ que les dés sont pipés.
Pour Paris, il faut, en lisibilité minima, 200 affiches. Arriver malgré tout, un an après, en test de mémorisation, en seconde position après les fromages Chaumes (400 affiches = 45%). NI 54 affiches = 37% de mémorisation. Étonnement des publicitaires, puisqu’en termes de communication, seul le public ciblé se souvient.
NI, opération sans suite, ni teasing, ni publicité déguisée du ministère de la Culture. Simplement une prise de position anonyme. Négation ultime, vérité absolue, disjoncteur universel utilisé par les logiciens occidentaux et les sages orientaux.
NI blanc, NI non-blanc NI noir NI non-noir. 37% de la population parisienne serait donc concernée par ce message en 3 m x 4 m ? Malgré le relais important des médias (télé, radio, presse), absence apparemment totale de feed-back par opposition aux opérations menées en circuit fermé. Quelques rencontres fortuites : un photographe envoyant des snapshots au Japon. Un douanier qui chaque jour se pose des questions sur ce NI lisible en tant que tel dans la rue. Seule la diagonale donne du sens et en dehors d’un public d’initiés, très peu de gens acceptent les formes pour ce qu’elles sont. Nécessairement, elles doivent faire référence. NI, imprimé en noir et blanc (interdit par la loi) parce que le texte pouvait passer pour une image. NI, typographie monumentale sur le lieu de l’écriture bavarde invite le passant à prendre son rêve en charge, à déborder les lieux de la consommation obligée, première étape vers la discrimination totale. »
Tania Mouraud