Stanley Morison et le Times par John Dreyfus
(Extrait) In: Communication et langages. N°26, 1975. pp. 59-67.
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« Il semble paradoxal que le caractère Times New Roman, introduit en 1932 par le journal le Times, ait toujours un succès considérable dans le monde entier, alors que le Times même a cessé de l’utiliser depuis le 9 octobre 1972. Mon propos est d’examiner les motifs qui ont déterminé en 1932 la création de ce nouveau caractère et les raisons de son succès croissant auprès des imprimeurs de livres et de magazines ou des fournisseurs de travaux de ville. De fil en aiguille, il a été utilisé à des fins tout autres que celles pour lesquelles il avait été originellement conçu.
Je me propose également de mettre en valeur la façon dont le dessin du Times New Roman a été influencé par le Monotype Plantin, créé en 1913 d’après un dessin du XVIe siècle de Robert Granjon, et par le Monotype Perpétua, créé en 1929 d’après un dessin du sculpteur Eric Gill.
Le 29 octobre 1929, le Times fit paraître un numéro spécial consacré à “L’imprimerie au xxe siècle”, contenant un article de Stanley Morison intitulé Newspaper types. Morison y faisait remarquer que le caractère utilisé par le journal était toujours le même que celui qui avait servi pour le supplément précédent consacré à l’imprimerie, et cela en 1912. Il exprima plus vivement encore son mécontentement devant les principaux responsables du Times, auxquels il démontra la nécessité de faire redessiner les caractères du journal pour que celui-ci atteigne au moins le niveau esthétique des livres sortis couramment par les éditeurs londoniens.
Une typographie dépassée
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Le groupe admit si rapidement que la typographie du journal n’était pas à la hauteur du roman moyen contemporain, des biographies ou des livres d’étude qu’une commission fut créée pour étudier l’opportunité de modifier les fontes utilisées au Times à la fois pour le texte et les en-têtes. A titre indicatif, Morison prépara pour ce comité un texte détaillé et amplement illustré, Mémorandum sur un projet de révision de la typographie du Times. Il y résumait le fond du problème et les points sur lesquels il convenait de se pencher plus particulièrement. En s’appuyant sur des faits historiques et techniques, il montrait ensuite comment il proposait de le résoudre. Il insistait aussi sur le manque de corrélation entre les branches livre et journal de l’imprimerie, sur les raisons de la médiocrité de la typographie dans la presse et sur l’à-propos d’une réforme dans les journaux. Changer le Times, écrivait-il, ne peut se comprendre que dans un contexte historique ; boutade bien morisonienne.
Un caractère doit être simple, large et peu contrasté
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II discutait aussi de la question de la lisibilité, dont il admettait qu’elle était encombrée d’impondérables. Ses dessins furent ensuite soumis à ce qu’il appelait un « examen médical , devant de nombreux experts, tel sir William Lister, ophtalmologue attitré du roi. Morison trouvait même une confirmation de ses théories dans un rapport de R.L. Pyke, intitulé la Lisibilité de l’imprimé, publié par le Stationery Office de Sa Majesté en 1926. En sa qualité de conseiller typographique de la Lanston Monotype Company, Morison fut tout spécialement frappé par les constatations de Pyke. Bien que celles-ci n’aient pas été concluantes en elles-mêmes, elles autorisaient Morison à écrire : Les recherches scientifiques sur la lisibilité, si elles prouvent quoi que ce soit, prouvent que le caractère idéal doit être simple, relativement large, avec des pleins assez importants et un contraste modéré entre les pleins et les déliés et que la composition doit être bien espacée. D’où, arguait Morison, tout caractère dont les pleins et les déliés ne sont pas trop contrastés doit être satisfaisant, c’est-à-dire facile, agréable et donc lisible pour la plupart des lecteurs du Times […] »
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