Qu’est ce que la Nouvelle Typographie et que veut-elle ?

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Qu’est ce que la Nouvelle Typographie et que veut-elle ? | AMG n°19, septembre 1930.
Ce texte de Jan Tschichold également diffusée la même année en anglais dans le magazine Commercial Art correspond a une traduction de l’introduction de son ouvrage Eine Stunde Druckgestaltung.

« On désigne sous l’appellation de Nouvelle Typographie les efforts persévérants de quelques jeunes créateurs, surtout en Allemagne, en URSS, en Hollande, en Tchécoslovaquie de même qu’en Suisse et en Hongrie. Les débuts de ce mouvement remontent en Allemagne jusqu’au temps de la guerre. On peut considérer la Nouvelle Typographie comme un résultat du travail personnel de ses initiateurs. Toutefois, il me semble plus exact de l’envisager comme un produit du temps et de ses nécessités, sans vouloir aucunement déprécier l’oeuvre remarquable et la force créatrice des services rendus par les promoteurs sur la base de leur individualité. Ce mouvement n’aurait jamais pu atteindre le degré d’extension qu’il présente aujourd’hui sans conteste dans l’Europe centrale s’il n’avait pas répondu à des nécessités pratiques du moment. Il s’y adapte de façon toute particulière en ce sens que le programme des Nouveaux Typographes réclame en première ligne la conformation sans réserve de la typographie au but poursuivi dans la tâche donnée.

Il est tout d’abord nécessaire de décrire ici brièvement le cours du développement typographique avant la guerre. Au pêle-mêle stylistique des années 1880 succéda le mouvement des arts appliqués parti d’Angleterre (Morris, 1892). Dans le domaine typographique, son orientation était surtout historique (imitation des incunables). Plus tard (vers 1900), le Jugendstyl essaya en Allemagne, mais sans succès durable, de délivrer le travail créateur de toute obsession historique. Il aboutit à une imitation mal comprise des formes naturelles (Eckmann) et même finalement à un renouveau de la suite bourgeoise du style Empire (le type Trianon de Wieynck), c’est-à-dire une autre forme de l’historicité. Les modèles historiques furent découverts à nouveau et imités, cette fois, il est vrai, de façon plus intelligente (art du livre allemand de 1911–1914–1920). Une étude intense des formes historiques amena un retour de leur culte et produisit une restriction encore plus marquée de la liberté créatrice qui devait ainsi succomber. Le résultat le plus important de ces années fut, contre toute attente, la mise au jour des caractères historiques originaux (Walbaum, Unger, Didot, Bodoni, Garamond, etc.), préférés déjà depuis quelques temps à juste titre à leur précurseurs, ou plutôt en fait, à leurs imitations.

Rappelons-nous les principes suivis par la typographie d’avant-guerre. L’idéal typographique orienté dans le sens historique ne connaît qu’un seul schéma pour la composition : l’axe central, la disposition axiale, dont le cas le plus clair était le titre de livre. Toute la typographie suivait ce modèle, quel que fût le problème à résoudre, qu’il s’agit de journaux ou de prospectus, de papiers à lettres ou d’annonces. Ce n’est que l’époque d’après guerre qui est arrivée à réaliser sous forme de créations nouvelles ce que ces prédécesseurs avaient vaguement pressenti, à savoir qu’il y a là des buts différents avec des exigences particulières.

La réaction naturelle contre cet engourdissement de la typographie d’avant-guerre trouva son expression dans la Nouvelle Typographie qui s’est avant tout donné pour tâche d’affranchir les méthodes dans la conformation typographique.

Dans tout travail de cet ordre on peut distinguer deux objets distincts : la compréhension et la satisfaction des besoins pratiques – et d’autre part, la création d’un ordre optique. – Ce dernier relève de l’esthétique. (Il serait insensé de vouloir éviter ce mot.) En cela, la typographie se distingue bien de l’architecture : tandis que l’aspect extérieur d’une nouvelle maison peut être déduit entièrement, en beaucoup de cas, des nécessités pratiques, – ce que l’on trouvera chez les meilleurs architectes, – en ce qui est de la typographie, on peut au contraire reconnaître nettement, à peu d’exceptions près, un côté esthétique dans les questions de forme. C’est cette circonstance qui rapproche plus la typographie du domaine de la création libre en surface (peinture et dessin) que de celui de l’architecture. Dans les œuvres soit typographiques, soit picturales ou graphiques libres, il s’agit toujours de la conformation d’une surface. Ce fait explique pourquoi ce sont justement les peintres nouveaux, les abstraits, qui devaient devenir les inventeurs de la Nouvelle Typographie. Il nous est impossible de donner ici accessoirement une histoire de la peinture nouvelle ; il suffit d’examiner les expositions de peinture abstraite pour voir cette corrélation évidente, entre cette peinture pure et la Nouvelle Typographie. D’ailleurs, contrairement à ce que pensent maints de ceux qui n’ont pas compris non plus la peinture abstraite, ce n’est pas là une corrélation de forme, mais d’origine. La peinture abstraite est une expression sans but de rapports de couleurs et de formes pures sans interventions littéraires. La typographie est l’ordonnance optique (esthétique) d’éléments donnés (besoins pratiques, caractères, images, couleurs, etc.) sur une surface. La différence entre la peinture et la typographie est donc seulement qu’en peinture les éléments sont abandonnés au libre choix de l’artiste et que la production qui en résulte ne poursuit aucun but pratique. C’est pourquoi le typographe de nos jours ne peut rien faire e mieux que de s’occuper de la conformation des surfaces en partant de la peinture abstraite.

La rapidité des relations modernes comporte une réserve stricte pour la quantité du texte de même qu’une disposition économique pour son ensemble. La typographie devait inventer des répartitions plus simples et plus claires que les titres à axe central et, en même temps, leur donner plus de charme optique et plus de diversité. En Italie, Marinetti, dans Les Mots en liberté futuristes (1919), en Allemagne, le dadaïsme, antérieurement déjà, donnèrent une première impulsion à ce nouveau développement de la typographie. Aujourd’hui encore, beaucoup de gens qui ne se sont pas donné la peine de scruter ces raisons, considèrent le adamisme comme une pure stupidité. Ce n’est que plus tard que l’on estimera à sa juste valeur l’œuvre importante, comme initiateurs, des Haussmann, des Heartfield, des Grosz, des Huelsenbeck et autres dadaïstes. En tout cas, les feuilles volantes et autres écrits des dadaïstes, remontant jusqu’au temps de la guerre, constituent les plus anciens documents de la « Nouvelle Typographie » en Allemagne. Vers 1922, ce mouvement prend de l’extension. Quelques peintres abstraits font de l’expérimentation typographique. Le cahier spécial des Typographische Mitteilungen (Bulletin typographique), intitulé  Typographie élémentaire, publié par l’auteur en 1925 (épuisé), a aussi contribué à la diffusion de ces idées. L’auteur y résumait pour la première fois l’ensemble de ses aspirations et les soumettait au large public des typographes dans une édition de 28000 exemplaires. Tout d’abord, ces intentions de la Nouvelle Typographie furent violemment attaquées de toutes parts. Aujourd’hui, sauf quelques gens mal disposés, personne ne songe plus à combattre ces nouveautés. La Nouvelle Typographie s’est imposée.

Si l’on veut délimiter la Nouvelle Typographie dans ses rapports avec l’ancienne, on constate d’abord, comme caractère principal, quelque chose de négatif : elle ignore l’histoire. La cause de cette position négative provient de son concurrent dont l’orientation était précisément historique. Toutefois, la Nouvelle Typographie est moins antihistorique que non historique parce que, de façon générale, elle ne connaît pas de restriction de forme. La libération de toute entrave historique amène une entière liberté dans le choix des moyens. Pour réaliser une disposition typographique, on peut employer, par exemple, tous les caractères historiques ou non-historiques, toutes les sortes de subdivisions des surfaces, toutes les dispositions de lignes. Le seul but est la conformation finale à la visée poursuivie et une disposition créatrice des éléments optiques. C’est pourquoi on n’admet plus de restrictions telles que l’exigence de l’unité des caractères ou la distinction entre leurs mélanges permis ou défendus. Il est aussi inadmissible de présenter le calme comme le seul but de l’ordonnance typographique : il peut y avoir aussi une agitation voulue et nécessaire. » […]

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