« Les pixadores ont inventé leur propre langage écrit gestuel, utilisant les bâtiments de São Paulo comme de véritables panneaux de signalisation pour leurs messages. L’analyse astucieuse développée dans cet ouvrage a ouvert mes yeux myopes à un système d’écriture et une éthique de création qui surpassent le plus intrépide et emblématique des graffitis américains. Pour les habitants de São Paulo, ces signatures illégales sont probablement un fléau, mais du fait de leur ampleur, elles constituent aussi une véritable merveille urbaine. » (Steven Heller cit. manystuff.org)
« São Paulo, capitale économique du Brésil, cinquième agglomération urbaine mondiale avec plus d’une vingtaine de millions d’habitants, est le théâtre d’une véritable guerre des signes, guérilla visuelle artisanale contre le monopole de la propagande commerciale et politique, pour la réappropriation du contrôle de l’espace symbolique de la ville. La totalité de cette mégapole a été en effet envahie par un mouvement d’écriture sans précédent nommé ‹ pixação ›, mot brésilien désignant les tags, véritable phénomène de ‹ all-over › dépassant largement en termes de quantité l’ensemble des situations de graffiti connues à ce jour.
L’expression ‹ piche › décrivant le goudron, pixação signifie par extension les marques et tracés faits avec cette matière ; pixação est un mot féminin, sa forme plurielle est ‹ pixações ›. Cette expression existe aussi sous la forme contractée ‹ pixo ›, la lettre ‹ x › se prononçant là aussi comme le son ‹ ch ›. Enfin, le terme ‹ pixadores › décrit les pratiquants de cette écriture, les graffiteurs. L’origine du terme provient donc de l’appelation donnée aux écritures murales (principalement des messages politiques et commerciaux) tracées avec du goudron noir sur les murs, dès les années 50 et 60. L’expression pixação pert par la suite sa signification (politique) première, pour décrire cette technique réappropriée pour la promotion du nom, pour la gloire visuelle de l’individu ou du groupe ; elle semble aujourd’hui restreinte à la description de ces signatures, tant leur amplitude a fait oublier les pratiques initiales derrière ce mot.
Authentique système signalétique identitaire, ce phénomène, quasiment aussi ancien que les graffitis de New York et qui s’est developpé de manière totalement autarcique, a progressivement saturé les différentes strates des supports architecturaux d’inscription disponibles. Présents sous leur forme actuelle depuis le milieu des années 80 dans les rues, ces signatures urbaines ont peu à peu colonisés à partir de 1990 l’ensemble des façades et le sommet des différents édifices de la métropole pauliste, le paroxysme de l’invasion ayant été apparemment atteint à partir de la deuxième moitié des années 90.
La signature, dans un sens large, peut se définir comme l’apposition autographe stylisée du nom, c’est-à-dire un dessin identitaire, un écrit ou l’on observe encore la persistance de la valeur du geste. Le scribe, en perpétuel bricolage graphique de son identité, présente ainsi un corps qui n’apparaît qu’avec la conservation de la trace écrite. Ce qui nous intéresse avant tout ici c’est la définition de la signature comme ‹ trace visible d’un geste du corps ›, le geste et la forme ayant un engendrement réciproque. Un geste possède également une durée : la calligraphie conserve du surgissement créateur une trace tangible qui permet au spectateur de revivre ce surgissement dans sa durée réelle.
La scène des pixações est unique : contrairement à la plupart des autres scènes de graffitis américaines, européennes et même asiatiques, qui reproduisent avec plus ou moins d’altération le développement new-yorkais de la forme des lettres, elle développe un imaginaire calligraphique original et inédit, notamment influencé par des modèles antiques d’écriture comme le Runique ou l’Étrusque, ainsi que par diverses gothiques comme la Fraktur dans une version monolinéaire. Cette filiation scripturale s’est à l’évidence mise en place par le biais de l’univers graphique de pochettes de disques, plus spécifiquement par l’iconographie de différents groupes de rock et de heavy-metal des années 80.
Cette réappropriation a ainsi favorisé l’éclosion d’une véritable écriture de ‹recouvrement›, d’un alphabet performant en milieu urbain, qui s’organise autour d’une pensée graphique d’économie des moyens développant un effet visuel maximum, basée sur le squelette de la lettre uniquement, utilisant de manière indifférenciée la bombe ou le rouleau de peinture. Les pixações peuvent être appréhendés en définitive comme l’expression des conséquences des conditions de vie des mégapoles du 21ᵉ siècle sur le dessin de lettrages, une évolution formelle inattendue de l’alphabet latin. » (François Chastanet cit. allcity.fr)
→ Un très bon article en français sur owni.fr
→ Un aperçu de l’ouvrage pixação são paulo signature de François Chastanet
→ francoischastanet.fr