Photographie de couverture Carte postale issue de la collection de Renaud Epstein
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« Depuis 2014, le sociologue Renaud Epstein publie sur son compte twitter (et maintenant sur son compte Instagram) des cartes postales des années 60 représentant les grands ensembles. (…) Le virus peu commun du collectionneur de cartes postales de ZUP l’a contaminé alors qu’il travaillait sur son mémoire de DEA (diplôme d’études approfondies), dans la seconde moitié des années 1990. Arrivé trop tôt sur son terrain d’enquête du moment – le quartier des Trois-Ponts, à Roubaix -, il découvre dans un bar local des cartes postales défraîchies, dont une qui représente son objet d’étude. “A l’époque, je trouve ça plutôt marrant. On n’imagine pas a priori qu’on a pu produire des cartes postales sur ces paysages, et qu’on se les envoyait, nous raconte-t-il. Je l’ai prise, comme je collectais d’autres traces pendant mes enquêtes. Puis je me suis laissé prendre au jeu.”. » (cit. geographie-lechat.fr).
« Il en débute la collection un peu au hasard de ses trouvailles dans les communes où ses enquêtes le mènent, puis plus systématiquement en fouillant brocantes et vide-greniers. “ Il ne s’agissait plus seulement de conserver des images des quartiers dans lesquels j’avais travaillé, tel un touriste qui souhaite rapporter des souvenirs de ses lieux de villégiature, mais d’archiver les traces d’un monde en voie de disparition”. (…) Rassembler des cartes postales montrant les grands ensembles se mue alors en un acte politique autant que sociologique : « archives populaires des Trente glorieuses », il s’agit pour Renaud Epstein de les conserver comme autant de traces de la période où l’État construisait massivement des logements abordables, et de la vie sociale qui prenait forme dans les nouveaux quartiers dont les cartes accumulées témoignent encore aujourd’hui.» (cit. laviedesidees.fr). « Renaud Epstein explique “en 2003, Jean-Louis Borloo a lancé le programme national de rénovation urbaine. La démolition de centaines de quartier était programmée. Ces cartes, que j’avais accumulées sans trop savoir quoi en faire, ont alors changé de statut. D’un seul coup, elles sont devenues les images d’un monde promis à la disparition. J’ai alors commencé à poster une série quotidienne de ces cartes sur twitter. Dès le début, ces images ont suscité des réactions, elles ont fait émerger des émotions et des souvenirs que des publics très divers ont partagé sur twitter. C’est comme ça que l’histoire de la remise en circulation de ces cartes s’est amorcée.» (cit. dixit.net).
On est bien arrivés, Un tour de France des grands ensembles.
Renaud Epstein
Publié en Février 2022 aux éditions Le Nouvel Attila.
« Ce livre original met en lumière un objet oublié, voire ignoré, la carte postale du grand ensemble d’habitat social. (…) Soixante-six cartes postales sont mises en regard de courts textes de statuts divers : extraits de romans ou de dialogues de films, de chansons, d’articles de presse, citations de chercheurs sur les grands ensembles. » (cit. metropolitiques.eu). « Cet ouvrage est ainsi plus qu’un recueil de cartes postales collectionnées. Il tente de déconstruire la vision stigmatisante qui colle aux murs des grands ensembles pour en présenter un contrepoint au moment où nombre d’entre eux sont démolis et rénovés. » (cit. cairn.info).
« “On est vite tombés d’accord sur l’idée qu’il ne fallait pas faire un beau livre d’images mais s’appuyer sur ces images, qui suscitent des questionnements et des émotions, pour raconter une autre histoire des grands ensembles. Ou plus exactement, pour raconter autrement une histoire qui est déjà bien connue. Ce que racontent ces cartes postales, c’est la transformation urbaine et sociale de la France des Trente Glorieuses. Et elles permettent de proposer une représentation des grands ensembles qui n’est pas celle qui s’est imposée dans les médias et les discours politiques.”. » (cit. dixit.net).
« Les cartes postales des grands ensembles véhiculent le récit institutionnel en donnant une vision stéréotypée de la modernisation architecturale, du fait des conventions photographiques adoptées. En effet, ce sont pour l’essentiel des vues aériennes, technique adoptée à partir des années 1950 par les éditeurs de cartes postales. Ces images sont de deux types : vues obliques d’ensemble prises à moyenne altitude, soulignant la composition géométrique et la monumentalité, et vues à faible altitude qui détaillent des immeubles, des équipements et parfois des usages (tabac, piscines, lacs, jeux pour enfants…). » (cit. metropolitiques.eu)
« Bien que principalement constitués de bâtiments de types “ barre ” et “ tour ”, ces quartiers possèdent des singularités locales dans leurs formes et leurs équipements. La forme architecturale dominante masque une hétérogénéité importante des grands ensembles, comme le révèlent les cartes montrant les tours Nuages, ondulées et colorées, d’Émile Aillaud à Nanterre ; ou encore Les Choux de Gérard Grandval à Créteil, aux balcons en formes de feuilles de chou. » (cit. cairn.info/revue-espaces-et-societes). « “Il y a une uniformité interne des grands ensembles mais celle-ci s’accompagne d’une grande diversité externe. Ces quartiers ont chacun une architecture spécifique, des dimensions spécifiques et une intégration dans la ville particulière. Ces cartes postales, qui couvrent toutes les villes françaises, nous racontent aussi la puissance du volontarisme étatique des décennies d’après-guerre années 50-60, qui a transformé la France, bien au-delà des seules banlieues des plus grandes agglomérations.” » (cit. dixit.net).
« Œuvre artistique, l’ouvrage On est bien arrivés de Renaud Epstein est aussi sociologique et engagé. En dépit de sa brièveté, la présentation initiale est dense et instructive. Elle rappelle d’abord utilement les raisons de la dite “crise du logement” avant que l’État ne se fasse constructeur et apporte une solution aux millions de mal-logés. Elle rappelle aussi combien l’État a su se donner les moyens politiques et institutionnels pour mener son projet de construction massive en un temps record : de 1959 à 1973, près de 200 ZUP réunissant 2,2 millions d’unités d’habitation s’élèvent sur l’ensemble du territoire national. Elle rappelle enfin comment l’État a tout aussi rapidement mis fin à son entreprise de construction de logements en confiant aux banques et aux constructeurs privés, au tournant des années 1970-1980, le soin désormais de loger le peuple dans les nouveaux lotissements du périurbain. » (cit. laviedesidees.fr)
« “Il y a d’excellents travaux d’historiens et de sociologues sur l’histoire des grands ensembles, sur l’histoire de la construction, mais c’est toujours une histoire qui est écrite par le haut. C’est l’histoire des technocrates du ministère, des urbanistes et des architectes, des maires… Il y a un grand récit du volontarisme étatique, du geste qui a permis de sortir la France du mal-logement. Et cette histoire est désormais le plus souvent narrée comme celle d’un échec, du passage de l’utopie à la dystopie. Pourtant l’histoire de ces quartiers ne se résume pas à ces deux bornes, pas que les cités radieuses des années 60 ne sont devenues des cités ghettos aujourd’hui. Dès leur construction, ces cités donnaient lieu à des discours ambivalents, mêlant célébration et critiques de la part des sociologues, des architectes, de la presse et des habitants. Il en va de même aujourd’hui : si on prend le temps d’écouter leurs habitants, on entend des discours qui sont loin d’être univoques. A travers cet ouvrage, je voulais sortir d’une représentation caricaturale qui n’aide pas à penser les enjeux contemporains.”. » (cit. dixit.net)
Pour aller plus loin :
→ Un aperçu de la collection de Renaud Epstein
→ Un podcasts avec Renaud Epstein
→ Cartes postales : l’art du cliché ?
→ Un article dans le journal Le monde