En couverture : Mank de David Fincher (2020) /F for Fake de Orson Welles (1973)
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Si la recherche de la vérité a toujours été l’apanage des grands esprits de ce monde, celle du mensonge n’en demeure pas moins pour certains une belle nécessité. Avec cette huitième fournée, Œil pour Œil vous embarque dans le tortueux royaume de l’illusoire en compagnie de deux champions incontestés du mytho cinématographique : Mank et F for Fake.
Véritable trope issu de la tradition hollywoodienne, les récits mettant en scène les déboires d’un scénariste éprouvé par le chaos des studios ont souvent donné lieu à de superbes objets de cinéma, de Sunset Boulevard à Barton Fink. Voir un cinéaste de la trempe de David Fincher se frotter à ce sous-genre idéal avait de quoi affoler le palpitant du premier passionné venu, surtout quand l’auteur en question n’est autre que celui de Citizen Kane, l’un des monuments les plus écrasants du Septième Art. Rédigé par son père Jack Fincher au milieu des années 1990, le scénario de Mank est resté dans les cartons pendant près de 25 ans, la faute à la volonté inébranlable du réalisateur de tourner son film en noir et blanc : « Si vous n’étiez pas Woody Allen dans les années 90, vous ne pouviez pas filmer en noir et blanc » rapportera-t-il plus tard, un brin chafouin.
Comme bon nombre de projets ambitieux ayant végétés dans les limbes de l’usine de rêves (au hasard, The Irishman de Martin Scorsese), Mank a fini par être réactivé en 2019 à grands coups de millions par Netflix, alpha des nouveaux mastodontes de l’industrie avec lequel l’auteur de Se7en a signé un contrat d’exclusivité au long cours. Composée en majorité de flashbacks, l’intrigue du film prend place au ranch de Victorville, où le scénariste Herman J. Mankiewicz (immense Gary Oldman) a été envoyé pour se remettre d’une jambe cassée, réfréner son alcoolisme aigu et plancher sur un script commandé par un jeune premier du nom d’Orson Welles (Tom Burke). En dehors de la compagnie de sa secrétaire Rita (Lily Collins) et de quelques visites sporadiques, « Mank » se voit tout entier laissé à son écriture et ses pensées, revisitant avec amertume les dix dernières années de sa vie passées à Hollywood.
Unanimement reconnu comme un créateur de forme ultra-perfectionniste, David Fincher entretient depuis le début de sa carrière un rapport particulier avec les scripts de ses films, toujours laissés à d’autres que lui. Nettement moins à l’aise avec la plume qu’avec ses déclinaisons visuelles, il se plaît souvent à faire surgir dans ses travaux récents (The Social Network, Gone Girl) une tension entre le texte et l’image volontairement nourrie par des effets de désynchronisation aussi nombreux qu’inattendus. Révérence ou non au travail du père décédé depuis, le cinéaste fait montre dans Mank d’une forme de respect assez inhabituelle face à la matière abondante du scénario, privilégiant la distanciation ironique des trucages rétro (fausse gerçures de bobine à l’écran, grain etc.) aux spectaculaires effets de manche qui ont contribué à établir sa réputation.
Mais même avec un brin de retenue David Fincher reste David Fincher et son savoir-faire méticuleux éclate dès les premières minutes du film. La photo d’Erik Messerschmitt (Mindhunter, Legion), travaillée à l’aide d’appareils monochromes rouges (comme le N&B natif d’époque) et relevée de mises au point d’une grande profondeur de champ, distille d’emblée des sensations d’entrelacs entre le classique et le moderne, sentiments renforcés par une intense floraison des noirs numériques rehaussée par de subtiles variations sur d’autres textures d’éclairage. De même, la combinaison de techniques de rétroprojection old school et de panneaux LED ultra modernes agrémente le métrage des séquences de reconstitutions environnementales à faire pâlir d’envie le Welles de Falstaff et Macbeth. Mais au-delà de ses nombreuses qualités techniques, Mank se distingue avant tout par un traitement singulier des figures historiques qui le peuple, à commencer par celle de son protagoniste principal.
Au moment de sa réception, il a beaucoup été reproché au film de se complaire dans une certaine opacité d’érudition propre à son sujet. Si la critique est plutôt légitime au vu du maelstrom de micro-événements historiques et de personnages à renommées variables qui le composent (nécessitant, à peu de choses près, un double doctorat « économie du cinéma/sciences politiques de l’entre-deux guerres » pour en appréhender chaque recoin dès le premier visionnage), il semble évident que son support de diffusion télévisuel a joué un rôle déterminant dans la manière choisie par Fincher pour structurer son énonciation, c’est-à-dire respecter au mieux la colossale matière référentielle fournie par son journaliste de père sur le scénario. Cela étant dit, il est toujours de bon ton de recontextualiser un peu les choses.
RAISING KANE
Comme beaucoup d’autres plumes qui se sont rendus à Hollywood pendant la Grande Dépression, que ce soit en quête de gloire éternelle ou plus généralement d’un peu de moula pour remplir leur frigidaire, Herman Mankiewicz pensait que le cinéma était une occupation peu sérieuse. Après un début de carrière qui l’aura vu s’essayer tour à tour aux métiers de journaliste, critique de théâtre et écrivain, il décroche en 1926 un emploi à la Paramount en tant que rédacteur d’intertitres pour le cinéma muet. Ayant pris du galon avec l’arrivée du parlant, il devient un script-doctor très prolifique au sein des studios, malgré le fait qu’il ne soit qu’assez rarement crédité, même sur de très gros succès dont il a clairement apporté son tribut (San Francisco, The Wizard of Oz). Entraperçu dans Mank, un célèbre télégramme envoyé à son ami Ben Hecht dans l’espoir de le convaincre de rallier la côte Ouest résume assez bien l’état d’esprit du bonhomme, arguant qu’Hollywood est « un endroit où les millions sont à portée de main avec pour seule concurrence une peuplade d’abrutis. » Hecht finira par se laisser convaincre à l’instar de son jeune frère Joseph Mankiewicz quelque temps plus tard, et tous deux auront des carrières infiniment plus éclatantes que celle de leur fringant bienfaiteur.
En parallèle de son activité de scénariste, Mank tente sa chance dans la production avec une poignée de films au début des années 1930. Malgré sa contribution à l’un des meilleurs opus des Marx Brothers (Monkey Business), il ne parvient pas à s’extirper de la mêlée et seul son penchant de plus en plus prononcé pour la bouteille acquiert une réputation solide dans le milieu. Désireux d’asseoir définitivement ses qualités d’auteur, il rédige en 1933 un drame anti-hitlérien dans la foulée de l’arrivée des nazis au pouvoir, prédisant la violence meurtrière d’un Troisième Reich tout juste naissant. Bien évidemment, aucun studio n’aura le courage de le produire et Mank essuiera alors son plus douloureux échec. A partir de ce moment, le bousculement de la bienséance par l’absurde qui avait imprégné ses travaux sur bon nombre de comédies légères laissera place à une subversion plus profonde et une envie, de plus en plus affirmée, d’en découdre avec les puissants. Dès lors, son étiquette d’esprit dévastateur ne le quittera plus et c’est dans ce contexte qu’il se verra engagé par Orson Welles à l’écriture de Citizen Kane, ouvrant par là même la période dépeinte dans le film de Fincher.
Tout entier porté par l’idée d’articuler leur récit autour de l’ascension d’une grande figure de pouvoir, Welles et Mankiewicz jettent leur dévolu sur William Randolph Hearst, un richissime magnat de la presse dont l’immense réseau d’influence contribua pendant plusieurs années à faire la pluie et le beaux temps tant dans les travées d’Hollywood que dans les plus hautes instances politiques du pays. Et c’est précisément ce moment d’histoire que Mank s’attelle à mettre au cœur de sa dramaturgie. On y découvre l’étonnante relation nouée par Mankiewicz avec Hearst (glaçant Charles Dance) rencontré sur un plateau de tournage quelques années plus tôt par l’intermédiaire de Louis B. Mayer (Arliss Howard) nabab du studio MGM et grand ami du business man. Immédiatement séduit par sa verve teintée d’humour noir, Mank se voit progressivement convié à entrer dans les cercles d’influences du millionnaire, terrain idoine pour alimenter sa colère et ses frustrations.
Nichant son récit au cœur de ces tensions, David Fincher nous éclaire sur les machinations de Hearst et Mayer visant à nuire à la campagne d’Upton Sinclair, grand écrivain de gauche ayant remporté à la surprise générale la primaire démocrate pour la gouvernance de la Californie. A grands coups de campagnes de délations véhiculées par ses titres de presse et appuyées par des films de propagandes soigneusement élaborés avec les ressources la MGM, le magnat dévoile peu à peu son vrai visage de despote réactionnaire tendance manipulateur de masse, devenant pour Mank l’objet d’une vengeance scénaristique bigger than life après son éviction des hautes sphères (aah la scène du dining hall de San Simeon) . Inutile de chercher bien loin, c’est évidemment du côté des dérives de l’administration Trump que Fincher positionne son curseur critique, en élaborant une dénonciation aussi frontale que programmatique face à l’extrême dangerosité des fake news sur notre société saturée d’images. Subsiste un problème cependant : absolument rien de tout cela ne s’est réellement produit.
Dans l’introduction de F for Fake (Vérités et Mensonges en VF), dernier long-métrage d’Orson Welles achevé de son vivant, le cinéaste se présente explicitement comme un charlatan : « Ce que nous, menteurs professionnels espérons servir, c’est la vérité » explique-t-il plus tard en guise de défense. Nul doute que cette réplique en forme de note d’intention a dû trotter dans la tête de David Fincher au moment de réactiver Mank. Originellement conçu par le documentariste François Reichenbach comme une série d’interviews sur la falsification dans le marché de l’art, F for Fake a opéré sa mue quand Welles, fidèle à sa réputation de Gargantua de la pellicule, accepte de s’en emparer. Profondément remanié tant dans le fond que dans la forme, le film se présente comme une série d’enquêtes interconnectées mettant en scène des figures du monde artistique offrant matière à débat, le tout entrecoupé d’intermèdes interprétés par le cinéaste lui-même. Constituée en majeure partie d’images tournées par Reichenbach, la première heure du métrage est une plongée vertigineuse dans le monde des faussaires en compagnie d’Elmyr de Hory, l’un de ses plus illustres représentants.
A l’évidence fasciné par toutes les contingences rattachées à cette figure absolue de création par le faux, le réalisateur de The Touch of Evil s’attelle dans un premier temps à une folle démonstration dialectique par le biais d’un dispositif de chassé-croisé spatial, narratif et énonciatif intégralement produit au montage, dans le but d’appuyer l’idée que tout propos relatif aux faussaires est nécessairement biaisé. De facto, il se sert des interventions initiales de Reichenbach (devenu assistant réalisateur par la magie du montage) ainsi que de celles d’un certain Clifford Irving, biographe de Hory présent de manière incroyablement opportune dans les images d’origines, pour structurer une argumentation complexe autour de la valeur de l’art face la moralité toute relative de ceux qui le produisent, le reçoivent et qui, in fine, déterminent son prix sur le marché.
En guise de petit miracle contextuel venant agrémenter la matière et le propos du film, Irving se retrouve plongé au même moment dans un marasme médiatique suite à la rédaction d’une biographie sur le milliardaire Howard Hughes, soi-disant élaborée à partir d’une série d’entretiens que l’excentrique producteur à publiquement nié avoir tenu. En plus de lui offrir un lien thématique avec son très célèbre canular radiophonique de La Guerre des Mondes qui lui avait valu un ticket gagnant pour Hollywood, cet évènement, présenté de manière directe, permet à Orson Welles de brillamment s’inscrire dans l’actualité de l’époque tout en prodiguant une dimension aussi suspecte que fascinante aux affirmations du biographe sur la vie et l’œuvre d’Elmyr de Hory.
FAUX ET USAGE DE FAUX
S’attachant coute que coute à dérouler un programme établi sur le promesse que « tout ce qui est présenté ici est la pure vérité », Welles engage le spectateur dans une troisième et dernière partie qui interroge l’authenticité de l’art par le biais d’une de ces figures les plus indiscutables, Pablo Picasso. Mettant en scène la rencontre du peintre avec Oja Kodar, sublime et mystérieuse compagne du réalisateur, l’histoire nous dévoile comment l’auteur de Guernica s’est retrouvé broyé aux yeux du public par ses propres mensonges, dupé par cette nouvelle muse œuvrant en sous-main avec la complicité d’un oncle sans scrupule, supposément faussaire et hongrois comme Elmyr. Ce dernier segment, évidemment inventé de toutes pièces, fait entrer la fiction de manière éclatante dans le récit, encapsulant tout le propos du film par le biais d’une des citations les plus célèbres du peintre : « L’art est un mensonge qui permet de dévoiler la vérité. »
Alors, comment décrire F for Fake ? Étiqueté à la fois comme un documenteur et un essai sur l’art, aucune de ces définitions ne semble à même de correspondre pleinement à ce drôle d’objet cinématographique aussi ludique que fluctuant. Welles lui-même n’était pas disposé à la catégoriser définitivement, préférant arguer qu’il s’agissait d’une « nouvelle forme de film » potentiellement à même de poser les bases d’un nouveau départ pour sa carrière tout en maintenant une cohérence avec l’intégralité de sa production passée, ce qu’il tentera de confirmer avec The Other Side of The Wind, son dernier projet inachevé. Indéniablement, F for Fake demeure l’un des plus beaux exploits de montage cinématographique, élaboré à partir d’un nombre ahurissant d’images produites au fil du temps et assemblées avec acharnement en un tout homogène pendant plus d’un an, avec le concours de deux talentueuses collaboratrices (Marie-Sophie Dubus et Dominique Engerer).
S’il fallait trouver une clé définitive à la fausseté questionnée par le film – et plus généralement dans l’œuvre de son auteur – on pourrait se diriger vers la confiance indéfectible portée à l’imagination du public ainsi qu’un effort de collaboration, aussi actif qu’inconscient, noué avec ses propres créations. En guise d’allégorie à même de justifier ses intentions, Welles, vêtu des oripeaux propres à tout bon illusionniste, souligne la complicité sur laquelle les magiciens et les acteurs s’appuient ensemble, en la formulant explicitement dans l’un de ses intermèdes : « Un magicien n’est qu’un acteur… jouant le rôle d’un magicien.» Dès lors, cette clé se trouve peut-être, au sens propre comme au figuré, dans l’une des premières séquences du film, où le cinéaste présente le petit objet de métal aux yeux d’un enfant avant de la changer en pièce de monnaie pour mieux la faire réapparaître ensuite dans la poche de ce dernier. « La clé », conclut-il, « elle n’est symbolique de rien ». Comprendre en substance qu’elle est symbolique de tout, c’est-à-dire, dans le cadre de l’illusion cinématographique, de l’investissement créatif du spectateur sollicité dans l’expérience qui lui est proposée, invité en creux à aller chercher par lui-même sa propre vérité.
Nul doute qu’avec une œuvre comme Mank, David Fincher se positionne parmi la cohorte de bonimenteurs professionnels dont se réclamait son illustre aîné. Plus qu’il n’a de loyauté envers l’exactitude historique, le film résonne comme un rappel de la responsabilité du cinéma à produire une forme de vérité qui lui est propre, dépareillée par essence de l’expérience réelle. Jamais avare de bons mots, Mankiewicz lui-même nous met en garde contre la vacuité des faiseurs d’histoires allant à l’encontre de ce principe : « Vous ne pouvez pas capturer la vie entière d’un homme en deux heures. Tout ce que vous pouvez espérer, c’est d’en laisser une certaine impression. » Dès lors, si l’on part du postulat que ce « vous » tient lieu de sujet d’interrogation, qui sont les véritables charlatans en question ? Rejetant l’idée très wellesienne de la figure de l’artiste omnipotent, Fincher affirme un peu plus dans Mank qu’aucun homme, tout démiurge qu’il puisse être, n’est vraiment une île en soi. A l’évidence, la véracité des faits allégrement détournée dans le film préexiste pour fustiger l’ubris des figures constituant la sève du système hollywoodien et contre lesquelles il engage une dénonciation par le drame – aussi ironique qu’abyssal – d’un artiste brillant délesté de toute reconnaissance. Sa peinture d’Orson Welles, plus prompt à entretenir sa posture d’artiste cryptique qu’à s’attacher aux problèmes concrets de son scénariste va complètement dans ce sens, culminant par une réplique finale savoureuse, et bien réelle celle-là, de Mankiewicz au moment de partager avec lui l’Oscar du meilleur scénario : « Je suis très heureux d’accepter ce prix en l’absence de Mr. Welles, car le scénario a été écrit en l’absence de Mr. Welles. »
Si la posture des Fincher père et fils dans Mank est portée par un refus volontaire de révérences aux étoiles, elle est également alimentée dans les grandes largeurs par l’illustre Raising Kane, essai de la critique Pauline Kael – à la véracité du propos bien évidemment controversée – mettant en cause la paternité unique de Welles sur Citizen Kane. Si l’on place cette démarche sous l’égide de la pensée du maître des lettres argentines Jorge Luis Borges, source d’inspiration théorique commune à Mank et F for Fake, on peut y déceler une volonté de questionner la nature profonde de la notion d’auteur. Pour Borges, l’auteur est avant tout un mystificateur renvoyant à une réflexion sur l’interconnexion des effets de sens de son œuvre et de sa propre personne dans la culture, qu’il manipule à loisir. Se confondant avec la définition qu’il a établi du livre (et donc de l’objet culturel), cette figure de volonté absolue ne préexiste pas comme une entité close, mais plutôt comme un réseau de relations dont l’image publique est invariablement dissociée de la personne réelle. C’est précisément cette notion qui gouverne toute l’énonciation de Mank, structurée sur l’établissement puis le rejet des instances subjectives pour mieux établir un dialogue autoréflexif entre la fiction et ses constituantes (histoires, mythes et doxas), prenant ainsi complètement à rebours le schéma classique et balisé du biopic hollywoodien traditionnel.
« J’ai commencé au sommet et je n’ai cessé de descendre depuis » déclare Orson Welles dans son film, lucide sur la tournure prise par sa carrière, en forme de success story inversée. Pour un cinéaste qui évitait systématiquement de se répéter, cherchant toujours à garder quelques longueurs d’avance sur les attentes de son public, il semble essentiel d’ajouter qu’il a, lui aussi, toujours lutté contre la marchandisation de son statut d’auteur. Avec F for Fake, il construit un écrin idéal pour contextualiser de grandes thématiques de son œuvre, tout en sapant par l’énonciation les nombreuses croyances cinéphiles remettant en cause sa réelle paternité, d’Othello à The Lady from Shanghai. Pour quelqu’un dont les identités publiques et privées sont devenues si distinctes que l’exposition et la dissimulation figuraient parfois comme les facettes d’une même médaille, la question du juste crédit à donner à l’artiste est tout aussi prégnante dans F for Fake que dans Mank, n’en déplaise à Fincher. A l’instar de Borges qui ne voyait l’utilité de célébrer le monument qu’est l’auteur après sa mort que par sa transformation en objet vivant et instable, déclinable à l’infini par le public et par ses pairs, Welles contemple, dans la séquence la plus mélancolique de son film, la beauté écrasante de la cathédrale de Chartres en déclarant : « C’est peut-être l’un des plus grands ouvrages du monde occidental, et il est anonyme. Les grandes œuvres d’art resteront après que nous soyons tous devenus poussière, alors pourquoi sommes-nous si préoccupés par leur attribution ? » Pas faux Orson. Pas faux.
Mank de David Fincher (2020)
Avec Gary Oldman, Amanda Seyfried, Charles Dance, Lily Collins.
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F for Fake de Orson Welles (1973)
Avec Orson Welles, Oda Kojar, François Reichenbach, Elmyr de Hory.
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