La nuit des ronds rouges — Olt

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En couverture : Carte postale de la collection particulière de Jean-Baptiste Sauvage, entrée de village, 1977

« Avril 1967. En une nuit, plus de 4 000 ronds rouges sont peints sur les façades des stations-service dans le cadre d’une campagne résolument innovante qui bouscule toutes les conventions du genre. […] La prouesse que réalise alors le pétrolier présente des caractères dignes d’une performance très contemporaine : timing savamment calculé, scénographie à l’échelle du territoire national, préparation psychologique du personnel, création d’un “costume” d’agent de station (jusqu’alors ce dernier s’habillait à peu près n’importe comment) : tout est pensé pour faire de ce lancement une véritable chorégraphie dont les performeurs ne sont autres que des pompistes métamorphosés et le décor digne de celui d’un opéra d’avant-garde […] »

– Patrice Joly cit. Olivier Mosset, Jean-Baptiste Sauvage, zerodeux, revue revue d’art contemporain

 

« Cité aujourd’hui comme exemple de campagne promotionnelle, ce lancement a permis le regroupement de sept sociétés de distribution de carburants et lubrifiants, (Caltex, La Mure, Avia, CFPP, Lacq, Butafrance et Butalacq) pour n’en faire qu’une, d’envergure nationale. L’opération consiste à changer la marque de milliers de points de vente (1250 points de vente sont modifiés dans la nuit du 26 au 27 avril 1967 puis 4 500 de 1967 à 1970) et informer le personnel afin d’unifier le réseau de distribution pétrolier français. Cette campagne, menée dans le plus grand secret par les agences Havas et Synergie pour lesquelles travaillent les graphistes Jean-Charles Rousseau (1930, Paris) et Jean-Marc Chaillet (1936, Paris), en collaboration avec le directeur de la communication de Elf, François Guiter (1928-2014), prend pour nom de code Olt (Olt étant le nom de substitution à Elf pour effectuer les différents essais graphiques). Au printemps 1967, une campagne de publicité mystérieuse, mettant en avant la notion de teasing, envahit donc les ondes des stations de radio : “Les ronds rouges arrivent !”. Les panneaux d’affichage et les journaux sont eux aussi envahis de ronds rouges. Les stations-service du futur réseau Elf sont progressivement repeintes en blanc et l’énorme rond rouge prend forme sur les devantures. Le 27 avril au matin, le public découvre le nom Elf sur les façades des stations-service. […]

Le fameux rond rouge s’est imposé à cette époque par sa puissance visuelle et sa facilité de réalisation à l’aide d’un clou, d’une ficelle et d’un crayon. Ces deux aspects (force et simplicité), qui ont prévalu dans le choix du signe, trouvent des prolongements dans l’abstraction géométrique de la seconde moitié du xxe siècle. Véritable « signal optique », le rond rouge (proposition du graphiste J. R. Rioux) a donné son nom à la campagne publicitaire : “Les ronds rouges arrivent”. La station-type se définit alors par
un rond rouge apposé sur l’architecture, du sol au toit, parfois entier, parfois tronqué par la disposition des lieux (fenêtre, baie…) mais suffisamment fort pour être vu tout de suite en entier. »

– cit. document de l’exposition Olivier Mosset & Jean‑Baptiste Sauvage, Olt

 

« Jean-Marc Chaillet, responsable de l’opération dans l’agence de communication raconte “j’ai signé un contrat de confidentialité. Tout devait rester secret et en particulier les 3 lettres ELF et surtout la date de l’opération. Pendant plus de 6 mois j’ai travaillé jour et nuit sur cette opération. En dehors de la direction, il y avait 3 personnes chez ELF qui étaient au courant et seulement 2 à l’agence. La moindre fuite aurait eu de graves conséquences et j’aurais pu dire au revoir à ma carrière je pense. A l’agence, mon patron n’était au courant de rien, il savait qu’on bossait sur quelque chose avec ce client mais il ignorait tout de l’opération. Nous étions en plein roman d’espionnage.” La paranoïa était telle que Jean-Marc doit travailler à l’intérieur d’un bureau sans fenêtres, Boulevard Haussman, un véritable Bunker d’où il ne sort que pour aller sur le terrain en cas de repérage ou d’essais grandeur nature.[…]

A Paris, rue Jean Nicot, c’est un véritable centre névralgique qui est mis en place. 40 opératrices téléphoniques, tout ce que ELF comporte de directeurs, les yeux rivés sur un immense tableau. “L’ambiance était absolument surréaliste, il y avait cet immense tableau de 4 mètres sur 4, où l’avancée des opérations sur chaque station était répertoriée. On se serait cru un soir d’élections avec les téléphones qui sonnent les uns après les autres et tous ces résultats qui tombaient. Il était évident pour tout le monde que l’on participait à quelque chose de spécial” ajoute Jean-Marc. »

– Nicolas Laperruque cit. ELF, La nuit des ronds rouges, naissance d’un géant Français

 

« En 2013, l’artiste Jean-Baptiste Sauvage tombe sur la photographie d’un rond rouge peint sur le pignon d’une station-service, et se souvient qu’il a déjà croisé de tels ronds rouges lors de ses pérégrinations sur les routes françaises. Ces formes géométriques font écho au travail de peinture murale abstraite qu’il développe alors : des appropriations de logotypes qu’il remet en circulation dans l’espace public. Il décide d’entreprendre des recherches plus précises, et découvre l’ampleur de la campagne de communication, orchestrée à l’occasion du lancement de la marque Elf, en avril 1967. Il commence à constituer un fonds documentaire hétéroclite – cartes postales, imprimés publicitaires, objets promotionnels, photographies d’époque –, photographie des vestiges de ronds rouges encore présents le long des routes et contacte certains protagonistes de la campagne, comme Jean-Marc Chaillet ou Alain Boisnard.

Le projet prend une tournure nouvelle lorsque Jean-Baptiste Sauvage croise Olivier Mosset au hasard d’un vernissage : il connaît la sensibilité de ce dernier pour l’art des bords de route, ainsi que son intérêt pour les “abstractions trouvées”. Les deux artistes décident de “refaire” l’un de ces ronds rouges. Après une phase de repérage, ils choisissent la station de Peyrus, au pied du Vercors, dans la Drôme. Le rond rouge est inauguré en juillet 2017. »

Il fera également l’objet d’une exposition entre les eux artistes en 2017 à l’Espace de l’Art Concret, elle présente des œuvres de Jean-Baptiste Sauvage et d’Olivier Mosset, une documentation de leurs recherches et repérages et des archives de la campagne de lancement de la marque Elf. Ainsi qu’une publication avec l’ouvrage Olt.

– cit. documentsdartistes.org