La lettre O et le lettre P

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Extrait de l’article La lettre O et le lettre P de Robert Marichal
in Arts et Métiers Graphiques n°63 | mai 1938 | page 43

« La planche placée en tête de cet article a été établie suivant les mêmes principes que celle qui a été consacrée à la lettre B dans le n°61 de cette revue. Elle retrace schématiquement l’histoire de deux lettres dont la caractéristique est d’avoir, après une évolution en apparence insignifiante mais cependant significative, retrouvé leur forme primitive, donnant ainsi l’impression de l’immobilité.

Les formes 1 à 6 représentent les principaux types d’O que l’on rencontre du Ier au XIe siècle de notre ère. La forme 1 est la forme capitale, telle qu’elle se lit dans un papyrus du milieu du Ier siècle. On la retrouve aisément, plus ou moins régulière, dans les formes 2 à 5. Cet O n’est pas tracé, comme nos O modernes, d’un seul trait de plume, mais de deux traits courbes se rejoignant suivant un axe qui coupe obliquement, dans une direction nord-ouest-sud-est, la ligne horizontale sur laquelle repose l’écriture. Le copiste “attaque” donc la lettre par l’extrémité supérieure de la courbe de gauche (rouge), puis remonte attaquer l’extrémité supérieure de la courbe de droite (vert). Ce “ductus” est mis en évidence par les formes “cursives” où O apparaît en ligature avec les lettres voisines (fig. 21 et 22) et par la disposition des pleins.

La raison d’être en est simple dans une écriture orientée de la gauche vers ta droite, la main répugne à tracer un trait de droite à gauche et de bas en haut, et il est, en tout cas, impossible d’exécuter un plein de cette manière. Ce n’est donc qu’en deux traits de plume qu’on pouvait écrire un O présentant une disposition symétrique des pleins et des déliés. Aussi retrouve-t-on ce ductus dans toutes les capitales même les plus soignées (fig. 23) et les plus récentes (fig. 24). Seule l’orientation de l’axe varie et se rapproche plus ou moins de la verticale.

Les formes 2 et 3 sont deux des formes les plus “cursives” de cette écriture courante en usage du Ier au IIIe siècle, que les paléo-graphes appellent « l’ancienne cursive ro-maine ». Elles ne diffèrent de l’écriture capitale que par la taille, beaucoup pins exiguë, et l’irrégularité du tracé, mais le ductus fonda-mental reste le même. En général le trait de gauche (rouge) reste courbe, tandis que celui de droite (vert) tend vers la ligne droite. Dans la forme 3, qui est empruntée à une tablette de cire, matière où les courbes se tracent difficilement, l’O se réduit à deux petits traits parallèles, Dans les documents écrits sur papyrus cette forme est rare, la courbe de gauche s’accentue au contraire en une boucle que vient clore le trait de droite, et qui est devenue suffisamment caractéristique pour que la lettre soit reconnaissable même lorsque ce trait est absent (fig. 25).

Cette forme achemine donc à un ductus analogue au nôtre où le “O” serait tracé d’un seul trait : à priori, ce ductus n’est pas impossible : la lettre est très petite, l’attaque a lieu non plus en haut mais sur le côté droit, enfin le tracé est trop fin pour comporter une alternance frappante de pleins et de déliés, les raisons qui s’oppo-saient à un ductus en un trait dans la capitale n’existent donc plus. Cependant, si forte est l’emprise de l’éducation sur les scribes, que ce ductus est rare. Certains paléographes (v. g. H. B. Van Hoesen, Roman cursive writing, Princeton, 1915, p. 236) l’ont bien, il est vrai, considéré comme le plus fréquent, particulièrement jusqu’au milieu du Ier siècle. Mais l’examen attentif de quelques-uns des documents où ils croient le reconnaître montre qu’il n’en est rien. L’agrandissement (fig. 26) de l’un de ceux-ci révèle le ductus en deux traits. Ces paléographes semblent avoir ignoré la forme capitale et envisagé les lettres avec nos habitudes graphiques modernes. Leurs relevés sont donc suspects. En réalité, nous n’avons jamais rencontré, pour les trois premiers siècles, d’O dont on puisse affirmer qu’ils sent tracés en un seul trait avec attaque de gauche à droite ; les exemples qui pourraient laisser croire à ce ductus sont, ou des O incomplets comme ceux de la figure 25, ou des O si parfaitement clos que le ductus échappe à l’observation, tandis que, dans le même document, tous ceux où il est observable sont conformes au tracé en deux traits. […] »

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