Joost Grootens, construire des systèmes d’information
par Isabelle Moisy, cit. étapes: 221
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Architecte de formation, Joost Grootens a choisi d’appliquer son esprit de structure à l’organisation des données. Ses cartes, atlas et visualisations entendent faciliter la compréhension d’une masse d’informations toujours croissante.
Il semble que la conception des atlas commence par le fait de redessiner des cartes, et la réalisation des cartes implique de redessiner des plans d’architecture…
J’ai une formation d’architecte, mais je suis un graphiste autodidacte. Je suis devenu concepteur de livres par amour du livre et parce que j’étais plus intéressé par la représentation de l’architecture que parla construction elle-même. Pour mes premiers livres, il m’a paru naturel de ne pas considérer le dessin d’architecture comme une représentation graphique, mais plutôt comme des données. Les données doivent être mises en forme pour pouvoir être transmises. J’ai donc travaillé sur le dessin, sur l’épaisseur de la ligne, les couleurs, les motifs, etc. Je n’ai pas reconstruit les bâtiments, mais j’ai retravaillé le dessin afin de mieux présenter le contenu. Après le retraitement des plans d’architecture, l’autre étape a été de redessiner des cartes. Un livre de cartes peut devenir un atlas grâce à la création d’un langage cohérent entre toutes les cartes et d’un système complet d’information. On peut par exemple proposer au lecteur plusieurs points d’entrée et des liens vers d’autres informations grâce à des index graphiques.
“Un atlas ne raconte pas une histoire, il permet au lecteur d’entrer en interaction avec l’information et de s’y frayer son propre chemin. De ce point de vue. c’est un format très contemporain.”
Êtes-vous encore graphiste ? Est-ce que vous créez ou construisez encore des images ?
Non, je ne crée pas, ou je ne construis pas d’images. Ce que je crée, ce sont des systèmes d’information. Ce sont des structures cohérentes de données qui permettent au lecteur de traiter l’information de différentes manières. Je n’ai pas été formé pour être graphiste, je suis donc toujours réticent à me présenter en tant que tel. Je fais des livres, voilà ce que je dis d’habitude.
En quelques mots, pouvez-vous résumer la philosophie de votre studio ? Combien êtes-vous ?
En résumé : Plus de faits, et moins d’art ! Le livre que j’ai fait sur mon propre travail s’intitule I swear I use no art at all (« je n’y mets aucun art, je vous jure »). C’est une citation extraite d’une scène de Hamlet, de William Shakespeare, quand Polonius vient transmettre un message à la reine. Il le fait avec un tel verbe qu’il attire plus l’attention sur le messager que sur le message lui-même. Cela irrite la reine, qui lui dit: Plus de faits, et moins d’art !, pour en venir au sujet. Polonius lui répond Je n’y mets aucun art je vous jure, puis lui transmet l’information clairement.
“J’accorde une grande importance à l’attention portée sur le choix du papier et la fabrication et je prends toujours le parti d’une palette de couleurs non-standard. Pas de cyan, pas de magenta, pas de jaune et pas de noir. J’utilise le spectre entier des encres, des tons directs aux fluos en passant par les encres métalliques.”
Pourquoi est-ce important pour vous de réinventer l’architecture d’un livre à chaque fois ? Est-ce que cela a changé quelque chose depuis que vous travaillez dans la conception de livres ?
En tant que designer graphique, je me sens obligé de créer des objets contemporains. Il ne s’agit pas d’être à la mode, mais de créer des livres contemporains, qui s’adressent à un lecteur vivant dans le présent. C est un lecteur qui connait différents moyens d’obtenir des informations, par Internet ou avec un téléphone connecté. Je cherche à intégrer ces différentes manières d’accéder à l’information dans mon travail.
Dans ce numéro d’Etapes nous nous intéressons à l’adaptation des systèmes de lecture et au traitement de l’information. À votre avis, quel est le vrai problème posé par la lecture aujourd’hui ? Avec les nouveaux médias, les gens semblent modifier leur mode de lecture au quotidien: la fluidité, la souplesse, la simplicité de l’approche éditoriale semblent être bienvenues.
Je trouve que nous vivons une époque passionnante. L’ère numérique a créé une explosion des données. Je pense que c’est aux artistes et aux designers de créer un nouveau langage visuel pour faciliter la compréhension de ces quantités phénoménales d’informations qui nous entourent. En tant que designer, je cherche à contribuer à ces nouvelles manières de lire l’information en abondance. La solution que je propose est de transformer les données en images et en couleurs, car je pense que cela déclenche des modes de lecture subconscients. Dans la plupart de mes livres, j’ajoute des index visuels qui ouvrent de nouvelles voies pour aborder l’information. En la rendant visuelle, j’offre une lecture différente, plus intuitive.
Consulter l’intégralité de l’article & de l’interview
Une seconde interview de Joost Grootens en français sur archiver.cc
Une cette fois-ci en anglais sur le site domusweb.it