Photographie du portrait – Jean-Philippe Bazin
« Jean Widmer, graphiste, crée depuis son arrivée en France, dans les années cinquante, des images qui sont une synthèse entre abstraction et figuration, alliant sensualité et style épuré. Après un passage au jardin des modes et aux Galeries Lafayette où il révolutionne les concepts graphiques, il se consacre aux images publiques. En ce domaine, privilégiant désormais le champ culturel, il fait œuvre de pionnier. Le système de signalisation et d’animation conçu pour les Autoroutes du sud de la France est l’une de ses réalisations les plus connues. Les identités visuelles créées par Jean Widmer pour les institutions culturelles font désormais partie de la vie quotidienne de bien des Français, et constituent des références prestigieuses dont les étrangers portent témoignage au-delà de nos frontières. Citons quelques cas exemplaires: le Centre Georges Pompidou, le musée d’Orsay. l’Institut du monde arabe, la Galerie nationale du Jeu de paume, l’identité de la ville de Berlin, le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris, la Bibliothèque nationale de France. Par ses réalisations et son activité d’enseignant, Jean Widmer a formé plusieurs générations de graphistes et continue d’exercer aujourd’hui une influence sur un grand nombre d’entre eux. Il peuple avec idéalisme notre environnement d’images quotidien de petits ‹ génies › qui annoncent au passant les qualités de lieux ou l’essentiel. »
– cit. Edito de l’ouvrage Jean Widmer, graphiste, un écologiste de l’image –
« Pour son ouverture en 1969, le Centre de création industrielle (CCI) du musée des Arts décoratifs m’a confié son identité visuelle. J’ai réalisé une vingtaine d’affiches pour les premières expositions de ce lieu qui était destiné à promouvoir le design et l’esthétique industrielle des fabricants français. Toutes les affiches ont été élaborées à partir d’un meme concept: un jeu d’assemblages de formes répétitives, une gamme de couleurs franches et contrastées, un graphisme minimaliste qui excluait toute représentation de l’objet exposé, et cela en utilisant uniquement le caractère Helvetica et une forme de mise en pages systématique. La permanence de ces principes visuels permettait d’identifier le CCI avant même de percevoir le message de l’affiche. Quarante ans ont passé, et cette approche me parait toujours aussi significative de ma démarche. »
– cit. designculture.it –
« Conçue comme un véritable programme, l’identité visuelle du C.C.I. marque un tournant dans la carrière de Widmer. La maîtrise dont il fait preuve dans la définition d’un système cohérent, déclinable à long terme sur des supports multiples, le place en position privilégiée lorsque le Centre Georges-Pompidou alors en gestation, un peu moins de trois ans avant son ouverture, lance en 1974 un concours international pour la conception de son ‹ image de marque ›.[…] »
– cit. universalis.fr –
Extrait de l’entretiens entre Margo Rouard et Jean Widmer publié dans l’ouvrage Jean Widmer, graphiste, un écologiste de l’image
Margo Rouard — En 1969, vous éprouvez le besoin de changer d’écriture et de sujet.
Jean Widmer — J’étais alors dans une période de design minimaliste, d’extrême simplicité. Les affiches que j’avais créées pour le Centre de création industrielle, alors intégré à l’Union centrale des arts décoratifs, avaient représenté pour moi un exercice de basic design, une rupture par rapport au style des affiches d’exposition. Plutôt que de m’attacher aux objets eux-mêmes, j’avais travaillé sur la symbolique des sujets, en conservant une cohérence visuelle d’une affiche à l’autre. Ces affichettes ont beaucoup intéressé le milieu professionnel, mais beaucoup moins les agences de publicité qui ne retrouvaient pas, dans ces images, la communication directe du produit.
Quand, en 1972, vous créez des pictogrammes à la demande du ministère de l’Équipement, comment procédez-vous ?
Il s’agissait d’animer les autoroutes, de faire participer le voyageur à l’histoire et à la géographie des lieux. Nous avons réalisé un reportage photographique sur un parcours établi par la Société des autoroutes d’après le guide Michelin. Dans notre atelier parisien, nous nous sommes ensuite mis en quête d’un système susceptible de fédérer ces informations, si différentes les unes des autres. À partir des photos, et sans utiliser de calques, nous avons épuré systématiquement les formes en jouant sur les rapports de masses blanc/noir de manière à dégager la symbolique du sujet. Parallèlement, nous avons recherché l’épaisseur de trait minimale lisible à distance. Puis nous avons animé les sujets traités en faisant des recherches documentaires sur les pictogrammes. Je me suis souvenu que les hiéroglyphes égyptiens mettaient en scène la culture quotidienne du pays. Ce qui nous a confortés dans notre démarche qui allait dans le sens du pictogramme plutôt que de l’illustration. Nous avons travaillé ces pictogrammes à l’échelle 1/10°, à la fois séparément et dans leur ensemble, avec des feutres, au moyen de collages et en utilisant les photos. Tout a été traité au trait, sans trames. Mais nous ne pouvions pas styliser au-delà de certaines limites car les automobilistes devaient pouvoir reconnaître les sujets à une vitesse de cent trente kilomètres par heure et, à cette vitesse, la lisibilité a ses limites. Le but était aussi d’inciter les automobilistes à faire le détour pour « aller y voir ».Le choix des sites proposés par l’architecte Henri Nardin faisait partie du guide vert, mais nous avons pu proposer des sujets à la suite de notre propre observation in situ. C’est ainsi qu’ayant remarqué à plusieurs reprises que les faucons campaient sur les pieux des balises au bord des routes, nous avons proposé de les signaler. Notre idée a été acceptée.
L’utilisation du blanc, le rapport des pleins et des vides ont dû être définis.
Nous avons souhaité maintenir un certain équilibre, ce qui nous a conduits à redessiner, à segmenter : le cheval par exemple aurait été trop petit en réduction, aussi nous avons centré les cadrages sur une partie de l’animal.
Comment créer de tels signes ?
Prenez le cas des pictogrammes conçus pour les différentes entrées souterraines du métro de Mexico : tout en constituant un langage universel aisément compréhensible par un public international, mais surtout repérables par la partie de la population qui ne sait pas lire, ils s’inspirent largement des traditions culturelles mexicaines. D’une manière générale, il s’agit de produire des signes immédiatement accessibles. Pour cela il faut faire appel aux traditions, aux coutumes, à l’histoire de l’architecture… bref à tout l’inconscient culturel d’un peuple. Le pictogramme nous amène à tenir compte des différences et des spécificités culturelles.
Avez-vous tiré des conclusions de cette expérience ?
Nous avons conçu cinq cents pictogrammes en sept ans. Nous n’avons pas voulu nous contenter d’agrandir une partie ou l’intégralité des photos, mais créer une expression personnelle propre. En ce sens, nous avons été des innovateurs. Mais notre mission ne comprenait pas le contrôle de la fabrication des panneaux et, malheureusement, les fabricants n’ont pas respecté les normes, en particulier en ce qui concerne les espacements typographiques. C’est dommage car la France était le premier pays à prendre une telle initiative. Elle a été suivie par la Belgique, l’Italie et la Suisse.
Peut-on rapprocher ce travail sur les pictogrammes et celui, antérieur, sur les affiches pour le Centre de création industrielle ?
C’est très différent, même si la démarche de travail est la même. Au début d’un projet, quel qu’il soit, je manie beaucoup de documentation et, peu à peu, je simplifie. Si la lecture en situation de vitesse était la problématique des autoroutes, celle des affiches, en revanche, imposait que la réflexion puisse se faire sur les thèmes des manifestations. Une grande épuration des formes laisse au lecteur la faculté d’interpréter l’affiche. Là encore, je n’ai pas souhaité utiliser la photo dans toute sa réalité, mais transcrire l’idée propre à chacune de ces manifestations : j’ai opté par exemple pour la symbolique du soleil plutôt que pour un objet de l’exposition dans le cas de l’affiche « Plein air». Il s’agissait, dans le contexte du moment, d’inciter les industriels français à passer commande à des créateurs, à des designers, car le design, en France, naissait à peine alors qu’il était développé en Italie. Pour résumer, les images résultent d’une synthèse entre abstraction et figuration, et, pour moi, tous les travaux, sur des sujets aussi différents soient-ils, vont de la figuration vers une expression minimaliste.
Plus de ressources sur Jean Widmer :
→ Différents articles sur designculture.itet thinkingform.com
→ A propos de l’identité visuelle du Centre Pompidou
→ De nombreuses affiches et archives sur centrepompidou.fr
→ Consulter l’ouvrage La typographie suisse du Bauhaus à Paris
Podcasts de l’émission du fond de l’oeil sur le logo du centre pompidou et les animations d’autoroute
→ A propos du caractère CGP
→ Conférence pour fêter les 40 ans du caractère typographique CGP
→ A propos de son travail au sein des Galeries Lafayette et du Jardin des Modes
→ Jean Widmer et le jardin des modes