Interview — Radim Peško

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Entretiens entre Radim Peško, RP – Digital Type Foundry & Alex Chavot.
Un grand merci à Alex Chavot pour nous avoir permis de retranscirire sont entrevue avec Radim Peško.

Radim Peško est un graphiste tchèque vivant actuellement à Londres. Il a d’abord étudié à l’Académie des Arts de Prague, puis à Londres. En 2004, il obtient son Master à la prestigieuse Werkplaats Typografie d’Arnhem, aux Pays-Bas. RP – Digital Type Foundry est une petite fonderie, qu’il a crééen 2009. La fonderie est axée sur le développement de polices à la fois formellement et conceptuellement remarquables. Ses créations comprennent l’Union, le MITIM, le F Grotesk, le Lÿno et le Fugue, entre autres.

Le travail de Radim Peško met l’accent sur la typographie comme une intersection entre technologie et langage, dessin de caractère, et projets d’exposition occasionnels, souvent agrémentés d’une pointe d’humour. Il a à son actif de nombreuses collaborations avec des graphistes renommés tels que Mevis & Van Deursen, Zak Kyes, Karl Nawrot, Louis Luthi ou Stuart Bailey. Il a également enseigné pendant sept ans à la Rietveld Academie. Radim est un collaborateur régulier de diverses publications, dont la revue Dot Dot Dot (fondée par Stuart Bailey et Peter Biľak) pour laquelle il a développé le « Mitim », un caractère en constante évolution conçu d’après un brief spécifique pour le magazine et caractérisé par ses empattements triangulaires. La famille « Mitim » grandit et se développe à chaque nouveau numéro en réponse à l’évolution de ses conditions de production : le contexte, le thème, l’approche et l’esprit ainsi que les restrictions dans le processus de production et les besoins de contributions spécifiques.

Alex Chavot – Tout d’abord, peux-tu me raconter un peu comment tu en es venu à t’intéresser au design graphique et au dessin de caractères et pourquoi tu as décidé de te concentrer sur la typographie dans ta pratique quotidienne ?
Radim Peško – Le type-design s’est comme introduit subreptiscement dans ma pratique, petit à petit et par la porte de derrière. Après avoir fini l’école, je n’avais pas beaucoup de travail et dessiner des caractères me permettait de rester occupé, d’étendre ces quelques projets sur une plus longue période. Je n’ai compris que bien plus tard le potentiel que la typographie pouvait avoir.

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Quelle est la part de design graphique et de type-design dans ta pratique quotidienne et comment l’un influence ou nourrit l’autre ?
À peu près moitié-moitié par rapport à mes autres activités (les commandes de design, l’enseignement, le commissariat, etc.) Il faut prendre soin de sa santé mentale…

De toute évidence, tu n’es pas le genre de type-designer qui vit enfermé dans son studio, modelant ses courbes nuits après nuits… La collaboration semble être une option récurrente dans ton processus de production, soit avec des designers graphiques (Armand Mevis et Linda Van Deursen, Zak Kyes, Stuart Bailey, Louis Lüthi…) ou des dessinateurs de caractères (Karl Nawrot). Comment débutent généralement ces projets et comment évoluent-ils ? Quel type d’échange as-tu avec tes « partenaires » ? Est-ce différent d’une commande par un client ordinaire ou d’un projet personnel ?
Ce genre de choses se font naturellement, du fait d’un intérêt commun, d’un besoin ou tout simplement parce que tu rencontres la bonne personne au bon moment. Chaque collaborations sont évidemment très différentes et reflètent assez bien les personnalités impliquées.

De manière générale, il y a toujours un partenaire, même dans la commande, non ?
Bien sûr, mais on peut avoir une certaine liberté lorsque l’on travaille sur un projet personnel dont on peut manquer quand il s’agit d’une commande. Je suppose que c’est notre travail en tant que designers d’arriver à tourner la critique ou les contraintes de façon positive. Mais c’est aussi différent de travailler sous la direction artistique d’autres designers graphiques, par qui on est commissioné, qui possèdent un œil critique, que directement avec un client.

Oui, en effet, mais il n’y a pas vraiment de règle générale sur ce point. On en revient à des exemples personnels et à des cas individuels. Pour prendre un exemple précis, pour le Museum Boijmans van Beuningen tu as travaillé avec Armand Mevis et Linda Van Deursen. Une grande part (sinon la totalité) de l’identité est fondée sur le caractère que tu as développé. Quel genre de relation penses-tu que l’identité visuelle et le dessin de caractère entretiennent-ils de nos jours ? Comment traduire une entité (comme un musée ou une entreprise) à travers une police de caractères ? 
Boijmans était une commande simple et directe de Linda et Armand alors que j’étais encore étudiant à la Werkplaats Typografie, où Armand enseigne. Néanmoins, je pense que le caractère a grandement contribué au design de l’identité et en le dessinant, nous avons poussé le concept original bien plus loin. Dans le contexte d’une identité, un caractère est en quelque sorte la signature, la senteur, la voix ou l’écriture manuelle. Je pense que ça se résume ainsi. Je ne suis pas sûr que l’on puisse traduire quelque chose d’aussi complexe qu’une institution. Ce que l’on peut probablement faire, c’est étudier et examiner toutes les qualités factuelles et, en quelque sorte, objectives de celle-ci puis de suivre son instinct et son bon goût. Un caractère peut fournir la clarté et la solidité que l’image ou les traitements graphiques ont parfois du mal à accomplir.

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J’ai l’impression que de plus en plus de projets d’identité se basent aujourd’hui sur la commande d’un caractère custom. De toute évidence, la dématérialisation de l’industrie permet à un plus large éventail de clients de se permettre cette approche. Pour moi, il s’agit aussi d’une sorte de réaction à l’ère « Helvetica », une tentative d’éviter la soit-disant neutralité et de finalement sortir du lot dans un monde globalisé, surchargé d’images mainstream. Vois-tu ce phénomène comme une mode propre à notre époque ou comme un moyen durable d’expérimenter ? As-tu déjà été confronté à la difficulté de vendre un dessin de caractère à un client ? 
Pour être honnête, je ne sais pas comment séparer « mode » de « progrès » dans ce cas. Et je ne suis même pas sûr que ça ait une importance. Je pense que le meilleur moyen est de se concentrer sur les caractéristiques inhérentes à chaque projet et voir ce qu’on peut en faire. Un bon logo simple peut marcher aussi bien qu’une approche basée sur une structure, un concept.

Penses-tu que les travaux de Garamont, Bodoni, Baskerville… ont contribué à former une sorte d’« identité nationale » à l’époque et, si c’est le cas, crois-tu que cela existe encore ?
Absolument. Ça sera toujours le cas ; ou du moins je l’espère, sinon le monde serait un peu triste.

Oui, mais en ce qui concerne la scène contemporaine, je ne sais pas si il y a encore une sorte de « typographie française », comme dans les années 1950 et 1960 avec Roger Excoffon par exemple qui, en dépit de lui-même, a vraiment contribué à façonner une sorte d’identité visuelle de la France… Les étudiants sont de plus en plus en mesure d’aller étudier à l’étranger et les designers tendent à une plus grande mobilité, ce qui peut avoir une sorte d’effet de normalisation.
Ou il se pourrait également que cette identité ne puisse se révéler qu’a posteriori – qu’avec le recul du temps. Je n’appellerais pas ça de la normalisation, car la normalisation (j’en ai fait l’expérience) peut également se former dans des sociétés fermées sur elle même et isolées (les dictatures, etc.). Comme je vois les choses, nous assistons à une sorte de fragmentation. Des tonnes d’informations vont et viennent avant même que nous ayons eu le temps de les connecter à une sorte de tableau plus vaste de l’expérience. Je pense que les étudiants sont malheureusement les plus vulnérables à ça. Et il me semble même que ça soit en contradiction avec ce qu’étudier devrait être.

Tu développes des fontes qui sont à la fois formellement et conceptuellement remarquables (MITIM, Lyno, Union…). Très souvent, tu travailles plusieurs années sur le même caractère, le faisant évoluer en permanence. Que penses-tu de la typographie conceptuelle ? Notamment en regard d’une pratique plus « conventionnelle » du type-design ou de la création de familles très étendues. Tu sembles clairement créer les outils dont tu as besoin pour des projets spécifiques, mais quel est ton rapport à l’utilisation de tes fontes par d’autres ?
Je ne suis pas sûr d’entièrement comprendre le terme de « typographie ou de caractère conceptuel », j’ai parfois l’impression que c’est la marque de caractères qui n’ont pas d’autre fonction que de se prouver quelque chose à eux-même, mais qui restent inutilisables en dehors de leur cadre conceptuel. Ça me semble en contradiction avec ce qu’un caractère devrait être. C’est toujours intéressant pour moi de voir mes fontes utilisées par d’autres personnes.

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