On raconte que Giotto, encore jeune et dans l’atelier de Cimabue, peignit un jour sur le nez d’une figure faite par Cimabue une mouche si vraie que le maître se remettant au travail tenta à plusieurs reprises de la chasser de la main; il la crut vraie jusqu’au moment ou il comprit son illusion. […]
« Concluant le récit héroïque de la révolution giottesque, le détail condense le progrès de la peinture : cette mouche peinte est l’emblème de la maîtrise nouvelle des moyens de la représentation mimétique, comme si la conquête de la vérité en peinture était passée par celle de son détail ressemblant.(…) On peut être certain que Giotto n’a jamais peint une telle mouche; la pratique n’était pas de son temps, et Vasari, évidemment, le savait. Mais, au moment où il écrit Les Vies, au milieu du XVIᵉ siècle, la mouche était un motif pictural qui avait connu un bon succès entre la moitié du Quattrocento et le début du XVIᵉ siècle. On la retrouve en de nombreux exemplaires : qu’elle soit intégrée à la composition, peinte sur le rebord de l’image ou comme posée à même la surface du tableau, ou encore que ces dispositifs se combinent, la liste des mouches peintes est loin d’être close. »
— Daniel Arasse, Le Détail. Pour une histoire rapprochée de la peinture –
« La mouche que l’on aperçoit dans le coin supérieur gauche du portrait s’est introduite dans la chambre noire au moment où le photographe a entrouvert l’appareil pour y glisser le négatif sur verre au collodion humide. L’insecte s’est englué sur la plaque et y a laissé sa trace grandeur nature. Cet incident en apparence innocent évoque d’abord les mouches emprisonnées dans l’ambre fossile, devenues objets de collection et de curiosité. Puis une étude d’André Chastel sur la musca depicta, la mouche en trompe-l’œil dans le peinture flamande et italienne entre 1450 et 1520 : grandeur nature et non à l’échelle du tableau, elle est posée sur une coiffe blanche, le dos d’un putto, une table, le bord du cadre. Le spectateur naïf veut la chasser pour mieux jouir de la beauté de l’ouvre, puis s’aperçoit, déconfit, qu’elle est l’expression la plus aboutie de la virtuosité du peintre. Comme la mouche russe nous convainc que l’intrusion du hasard est un des ressorts essentiels de la photographie. »