Graphiste (n. masculin/féminin)

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À l’occasion des états généraux de la culture en 1987, des graphistes associaient leurs écritures et leurs signatures pour rédiger un texte qui fut lu par Pierre Bernard.

« Graphiste (n. masculin/féminin) : Généraliste de la mise en forme visuelle, le graphiste dessine “à dessein” – dans le cadre d’une commande – les différents éléments graphiques d’un processus de communication.

La création graphique en France se porte bien, pourvu qu’elle existe. Les soixante-dix-huit signataires de ce texte sont des graphistes indépendants, travaillant seuls ou en affinités électives, décidés à prendre la parole, y compris après les États généraux de la Culture, pour fonder en France une pratique de la communication visuelle digne des enjeux sociaux et culturels de notre époque, de notre pays. Graphistes, concepteurs d’images publiques d’utilité sociale, le premier acte de notre cahier d’exigence sera la proclamation solennelle de notre existence.

En France, la majorité des créateurs graphiques sont salariés dans des agences de publicité, élégamment appelés agences ou bureaux de communication, et, en tant que tels, ont très peu à dire sur l’orientation générale des entreprises qui les emploient. La réussite exemplaire et reconnue de cette activité lucrative dans notre société ne favorise pas l’attitude critique, la crise économique et sociale se charge de verrouiller les consciences.

Dans les pays comparables du point de vue du développement ou de l’histoire (Europe, États-Unis), la situation est sans doute moins caricaturale.
Au cours du xxe siècle, dans les pays anglo-saxons, la pratique du graphic design, comme celle de l’architecture, s’est développée au fur et à mesure des cas, des questionnements et des exigences, jusqu’à devenir un élément identifiable de la culture contemporaine – le design. En France, notre art typographique a bien été cité en exemple, nos affichistes célèbres ont été célébrées, mais le souffle du Bauhaus n’est pas passé sous la porte et le vide s’est installé.

Aujourd’hui, “design” signifie en France : à la mode.

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Le modèle marchand investit le culturel, le social, le politique. La soi-disant communication hors idéologie triomphe et ne rencontre d’ailleurs que de très faibles résistances sur ces nouveaux terrains. Combien de directeurs de salles de spectacle, de centres culturels, combien de responsables associatifs, municipaux, syndicaux ou ministériels ne sont arrêtés dans leur élan que par les tarifs grandioses de cette pub ? Ainsi,“On bouge avec La Poste”, “On vibre à la Villette”, et “La force du président est tranquille”, le monde de la pub cucuifie le nôtre, au fur et à mesure. Le ton général de ce déferlement est celui de la frivolité. La baleine sécurité sociale se marre bien. Les désassurés sociaux, eux, moins.

Ces mêmes groupes, par ailleurs, ont mis la main sur les systèmes de diffusion (régie, médias, etc.) et arbitrent à leur profit le tout neuf sponsoring. Ainsi, la boucle est fermée, l’espace est quadrillé. Résister devient pour les émetteurs sociaux et culturels de plus en plus héroïque. Mais de plus en plus nécessaires.

C’est dans cette nécessité et dans l’urgence que notre mouvement s’inscrit. Nous sommes décidés à créer des images de qualité pour tous, et décidés de les produire pour plus d’humanité et de justice, plus de solidarité. Nous sommes convaincus que l’on ne peut rédiger et énoncer les messages d’intérêt public comme un argumentaire de vente de produits de consommation. On ne peut s’adresser à une assemblée de citoyens, qu’il faut convaincre, comme s’il s’agissait d’un quelconque groupe de consommateurs qu’on projette de gaver. Nous prétendons à la nécessité d’un acte artistique complet, au croisement de l’image et du mot, et refusons d’être la valeur imaginaire ajoutée.

Nous voulons créer des images dans un climat de confiance et d’intelligence avec des commanditaires responsables, envers un public «critique» dont nous nous sentons, dans ce processus, représentant actif. Nous voulons assumer forme et contenu en tant que co-auteurs de la communication. Nous revendiquons des budgets, des moyens de production et des moyens de diffusion nécessaires pour que la communication publique de masse dans notre pays interpelle et informe la vie sociale, défende, diffuse et enrichisse la culture. Quand la transmission des connaissances, les échanges sociaux et culturels concernent le plus grand nombre, le chemin obligé de médiatisation n’est pas nécessairement celui du “vacarme mass médiatique” et de la normalisation souriante. Nous croyons à une alternative humaniste. Le choix de la communication est philosophique, moral et politique, c’est naturellement un choix de société.

La création graphique en France existe, pourvu qu’on la sauve.


Signataires à la date du 11 juin 1987 :
C. Angelle, P. Apeloig, C. Arnaud, M.H. Arnaud, M. Arnold, C. Baillargeon, T. Besset, S. Berger, P. Bernard, M. Blanc Garin, J.B. Blom, G. Brych, A. Castebert, H. Cattolica, A.L. Cavillon, I. Chabot, L. Chambon, S. Christ, R. Cieslewicz, P. Citaire, A. Demongeot, A. Dietlin, P. di Sciullo, F. Dumas, M. Dumas, V. Enlart, F. Fabrizi, B. Fournier, A. Gallet, M.P. Galiana, V. Gandon, M. Guieu, S. Goetze, T. Hirschhorn, A. Jordan, A.M. Latrémolière, A. Le Bris, F. Lemercier, A. Lewandowski, M. Loyau, L. Madrelle, L. Maillet, E. Maruszewska, F. Miehe, P. Milville, F. Moulin, R. Mulas, Y. Musnier, J.M. Orsini, J. Oudin, G. Paris-Clavel, S. Patte, V. Perrottet, A. Poulet, A. le Quernec, V. Ronteix, A. Roth, T. Sarfis, C. Simon, C. Staffelbach, P.L. Thève, Tract, F. Vannière, F. Vermeil, L. Vilar Guanaes, M. Wender, J. Weisbuch, J. Widmer, C. Zask.

 

1 Comment

  1. Ce n’est pas sans rappeler le manifeste « FIRST THINGS FIRST » de Ken Garland (1964)

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