« Le fait qu’un des meilleurs artistes de nos jours se soit adonné à des recherches dans le dessin de la lettre, et l’ai porté à plus de perfection, contribue à diminuer le nombre de ceux qui considèrent cet art comme un art mineur.
Une lettre ne joue pas seulement un rôle dans le mot, elle est aussi quelque chose qui a sa fin en elle-même.
Aussi alors que jeune artiste, il étudiait l’architecture, il fut vite refroidi de ce que l’architecture doit toujours mettre en première ligne la fonction avant la forme, et il tourna son enthousiasme vers les inscriptions architecturales. Il eut à graver de nombreuses pierres funéraires. D’instinct il modifia bientôt la capitale romaine classique. Pour le bas de casse il s’inspira de ces caractères étonnamment nobles et purs que l’on peut remarquer dans les plus humbles cimetières d’avant la deuxième décade du XIXᵉ siècle, héritage anonyme de générations de graveurs et de dessinateurs de lettres qui comme Baskerville et d’autres eurent aussi à travailler sur le pierre et l’ardoise. La structure d’une lettre gravée dans la pierre comporte un jeu de lumière et d’ombre. Elle ne peut obéir aux fantaisies ténues des lettres d’imprimerie, venues de règles calligraphiques. Elle doit se soumettre à plus de robustesse et de netteté. Gill y apprit pourquoi et comment un trait devait être terminé. Aussi les empattements de ses lettres, même dessinées à la plume, sont remarquables par leur fermeté. Voyez la solidité architecturale de son R, par exemple.
En 1904, le comte Harry Kessler vint en Angleterre avec des projets pour cette série des ‹ classiques Insel › qui publiée par l’Imel Verlag de Leipzig, a tant influencé la typographie allemande. Ce voyage en Angleterre s’imposait alors à tout dessinateur de lettres, en raison de la grande tradition de William Morris, que continue encore son élève Emery Walker, et de Johnston, promoteur de la renaissance de la calligraphie. Le comte Kessler se proposait d’éditer une série standards de ‹ classiques › avec des pages de titre calligraphiées. Il en eut chargé Johnston s’il avait accepté. Il entendit parler du jeune graveur de pierre Gill qui avait exercé sa plume à calligraphier de la façon la plus prometteuse par exemple, des placards pour la librairie circulante de W. H. Smith et Fils, et son ciseau sur des pierres funéraires de beauté inusitée. Les séries de ‹ classiques › du comte Kessler furent continuées à la Cranach Press après la guerre, et les Eclogues publiées en 1925 montrèrent une intéressante collaboration entre Gill, dessinateur de lettres et Aristide Maillol en tant que décorateur. Malgré de nombreuses commandes de sculpture, Eric Gill trouva le temps de se consacrer au livre imprimé. Cependant ses contributions les plus importantes à la typographie étaient encore à venir. La collaboration avec la Golden Cockerel Press de Robert Gibbings commença en 1924. Cela le conduisit à la production d’une série d’initiales d’une dignité sans prétention et gravées avec agrément. Pour les deux volumes de publiés par cette Presse, il créa une série d’initiales de chapitre décorées en carré avec des fonds gravés sur bois en motifs blancs et noirs, la lettre elle-même restant noire. Mais c’est dans le Chaucer et The Canterbury Tales que les dons du dessinateur furent révélés au bibliophile.
En 1926 Eric Gill peignit le nom de Douglas Cleverdon sur le fronton de la librairie de ce dernier à Bristol. Le conseiller typographique de la Monotype vit, dans l’antique sévère de l’inscription, une forme bien adaptée au caractère d’imprimerie. Et le premier dessin de Gill pour la Monotype fut un caractère sans empattement appelé le Gill sans. Cet alphabet rappelle le Underground de Johnston dessiné pour la Compagnie générales des omnibus de Londres; le Gill sans est cependant bien personnel. »
D’après un article de Paul Beaujon paru dans la revue le Fleuron cit. AMG N°25 (1931)
« J’ai entendu Noël Rooke expliquer comment il s’était trouvé en compagnie de Johnston et de Gill lorsque ces derniers décidèrent de créer un caractère sans sérif. C’était juste avant la Première Guerre mondiale, par une soirée pluvieuse. Alors qu’ils s’apprêtaient à traverser la rue, une camionnette passa devant eux et, malgré le peu de lumière, ils furent frappés par les lettres blanches brillant sur la bâche noire. Tous deux s’écrièrent : ‹ Voilà le genre de caractères que nous devons transformer. › Johnston s’y attacha le premier en dessinant pour le métro de Londres un alphabet que les visiteurs et les étrangers admirent encore beaucoup. Le Gill sans serif apparut en 1928. C’était une commande de la Monotype Corporation, qui désirait un alphabet du même genre que celui qu’il avait peint de façon si remarquable pour l’enseigne de la librairie de Douglas Cleverdon, à Bristol. »
– John Dreyfus cit. Gill : un homme et un caractère –
« Gill Sans apparut en 1928, alors que son créateur avait quarante-quatre ans. C’était la plus britannique des polices, non seulement dans son aspect (sobre, stylée, d’une fierté réservée), mais aussi dans son usage, elle fut adoptée par l’Église d’Angleterre, la BBC, pour la couverture des premiers livres de poche des éditions Penguin, et par British Railways pour toute sa documentation, depuis les indicateurs horaires jusqu’aux menus des wagons-restaurants. Malgré ce succès, Eric Gill ne se considérait pas comme un concepteur de caractères. Sur sa pierre tombale, où il implore le visiteur de prier pour lui, il se présente simplement comme un tailleur de pierre, rare exemple de modestie dans le monde du graphisme. En fait, Gill conçut douze autres polices, dont de grands classiques à empattements comme Perpétua et Joanna, sans oublier Felicity, Solus, Golden Cockerel, Aries, Jubilee et Bunyan. Joanna porte le nom de la fille cadette de Gill, avec qui ses relations semblent avoir été moins douteuses qu’avec les deux aînées. Il utilisa admirablement cette police pour composer son Essai sur la typographie, où il évoque surtout les effets de la mécanisation sur la pureté de l’âme. Il y manifeste un souci d’exactitude extrême (‹ La page de titre doit être composée dans une police semblable à celle du livre, et de préférence dans le même corps ›). »
– Simon Garfield cit. Just my type –
« C’est également pour la Monotype que Gill dessina le Perpetua, romain et italique qui est sa création la plus importante, et compte parmi les caractères typographiques les plus originaux du XXᵉ siècle. Il employa plusieurs années à le parfaire. Le Perpetua n’est pas un caractère théorique né de la fantaisie d’un moment, mais un caractère foncièrement pratique, résultat de l’expérience et de maints efforts en lutte avec la pierre et le métal, et dont le bas de casse bénéficie de l’enseignement précieux présenté par les inscriptions funéraires antérieures à 1820. L’intervention du ciseleur de poinçons travaillant en accord technique avec le ciseleur de pierre a donné une probité et une vitalité à la forme des lettres que l’on ne retrouverait jamais dans la reproduction pantographique d’un dessin fait à la main. Il y eu deux versions du Perpetua, Gill corrigea la première pour la ramener à une forme plus rationnelle encore, par exemple dans la graisse du g et dans les empattements du p et du q. L’r, après bien des hésitations est devenu un triomphe de simplicité, l’une des rares modifications de forme dont puisse s’enorgueillir un dessinateur de lettres.
Mais l’italique Perpetua est peut être la réussite la plus complète d’Eric Gill. Cette fois, l’italique n’est plus un caractère tout à fait étranger au romain et peu fait pour s’accorder avec lui. D’autre part, Gill a su éviter l’écueil de faire simplement un romain penché. Il a su débarrasser l’italique des particularités calligraphiques dues à l’écriture cursive et la faire réellement et franchement de la m^me famille que le romain qu’elle doit accompagner. »
D’après un article de Paul Beaujon paru dans la revue le Fleuron cit. AMG N°25 (1931)
Plus de ressources sur Eric Gill
→ Consulter l’article Gill : un homme et un caractère
→ Consulter l’ouvrage An Essay on Typography
→ Consulter la revue Arts et métiers graphiques n°25
→ Consulter The Monotype recorder vol.41 (1958)
→ Eric Gill got it wrong; a re-evaluation of Gill Sans par Ben Archer
→ Consulter l’ouvrage Typographic Milestones
→ Consulter l’ouvrage Just my type
→ Télécharger la not gill(ty) du collectif OSP
→ Une très belle galerie d’image sur flickr.com
→ Une galerie dédiée à la British Railways 1948/9 Corporate Identity
→ Différents articles sur : az-project.org, luc.devroye.org, linotype.com,nickgraphic.wordpress.com, showinfo.rietveldacademie.nl, myfonts.com et newwriting.net